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Erdogan confronté à la poussée des résistances en Turquie

À l’appel du Parti démocratique des peuples (HDP) de Turquie, je me suis rendue, au nom du PCF, à Ankara afin d’assister le 13 avril à l’audience du procès pour «propagande terroriste» intenté, parmi une centaine de procédures! à Figen Yüksekdag, co-présidente du HDP et députée de Van, en prison depuis le 4 novembre 2016. À trois jours du scrutin, mon déplacement avait également pour sens de manifester publiquement, en Turquie même, notre soutien à la campagne du NON au référendum du 16 avril (cf. article de Pascal Torre dans le supplément CommunisteS du 15 mars dernier). Avec les membres des délégations internationales dont deux membres de l’association France-Kurdistan, la députée européenne GUE-NGL Martina Michels (Die Linke), la représentante du Congrès mondial des femmes Annedore Wilhelm et Zita Gurmai, responsable du Parti socialiste européen, nous avons pu assister à une audience sous haute tension qui a débuté par un mouvement d’humeur de la part du président du tribunal, excédé de voir autant de soutiens mobilisés, en mettant manu militari à la porte le député socialiste suédois, Anders Österberg, qui était parmi nous.

Les faits reprochés à la dirigeante politique et députée sont de n’avoir pas taxé le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) d’«organisation terroriste». L’accusation se réfère à «une interview» et «des discours dans l’enceinte du Parlement», sans pour autant produire ce qui constitue, selon elle, ces pièces à conviction. Malgré les demandes insistantes réitérées de l’accusée et de ses avocats, le tribunal n’a jusqu’à ce jour jamais transmis le dossier d’accusation à la défense. C’est depuis la prison où elle est détenue, et par visio-conférence, assistée d’une de ses défenseurs, que Figen Yüksekda a pris la parole pour dénoncer à juste titre un procès politique, téléguidé par le pouvoir, ne respectant ni la Constitution en vigueur, ni les droits humains fondamentaux, pas même ceux d’un procès équitable, et encore moins le verdict des urnes puisque la députée a été réélue en novembre 2015 avec 6 millions de voix. «La démocratie est en jeu» en Turquie, et les attaques dont Figen Yüksekdag et les dirigeantes et militantes du HDP sont les cibles font de ces femmes engagées pour une Turquie démocratique, de justice sociale et de pleine égalité, les symboles de la résistance des femmes de Turquie à un pouvoir islamo-conservateur. Le procès a été ajourné au 6 juin. La dirigeante risque la peine maximale, 5 ans de réclusion. Si elle se trouvait condamnée à la même peine en moyenne dans la centaine de procès engagés contre elle, le total des années de prison s’élèverait à 300 ou 400 ans. Selahattin Demirtaš est logé à la même enseigne dans un pays qui compte 10 000 prisonniers politiques recensés par les organisations des droits humains et qui a vu 40 000 personnes arrêtées et emprisonnées depuis mi-juillet 2016.

Près de 200 prisonniers politiques dont une quarantaine de détenues ont, depuis le 15 février, entamé une grève de la faim illimitée pour protester contre leurs conditions de détention. Ils ont été rejoints par leurs familles qui cherchent à briser la chape de plomb médiatique autour du sort (isolement, humiliations quotidiennes) des détenus politiques en Turquie. Certains, membres ou soupçonnés d’appartenance au PKK, sont la cible de violences. Plusieurs prisonniers sont maintenant entrés dans une phase critique de leur lutte et risquent des dommages sévères et même leur vie. Les familles que nous avons pu rencontrer, et dont il faut saluer le courage et la dignité, veulent que les détenus soient entendus et qu’un processus de paix reprenne immédiatement entre le pouvoir et A. Öcalan, leader du PKK.

À mon retour, nous avons diffusé un communiqué de presse pour alerter sur leur lutte et apporter notre soutien. L’Association France-Kurdistan lance ces jours-ci une campagne #JePenseAToi à laquelle nous apportons notre soutien et que le PCF pourrait relayer dans tout le pays. Le résultat fragile obtenu par Erdogan au référendum du 16 avril qui, malgré toutes les fraudes, violences et menaces, ne décroche qu’une majorité de 51% pour son projet de réforme constitutionnelle, ouvre une nouvelle période en Turquie. L’opposition, le HDP notamment, a raison de contester ce vote qu’Erdogan s’est empressé de déclarer acquis alors que plusieurs manifestations spontanées se déroulaient jusque tard dans la nuit.

L’homme-qui-rêvait-d’être-sultan accélère ses manoeuvres. Il a annoncé un nouveau référendum, cette fois pour le rétablissement de la peine de mort et, du même mouvement, que le changement de régime serait effectif à partir des prochaines élections. Initialement prévues en novembre 2019, plusieurs éléments indiquent qu’elles se tiendraient en réalité dès novembre prochain. Dans ce contexte, notre solidarité doit elle aussi franchir un cap. L’instauration de la dictature en Turquie serait une régression dramatique pour tous les peuples du monde. Erdogan manipule une partie de l’opinion publique en arguant que «l’Occident» veut faire la «leçon» aux peuples de Turquie. Nous rejetons cette vision de «choc culturel» qui n’est pas nôtre mais celle des islamo-conservateurs et des extrêmes droites, et nous mettrons toutes nos forces dans un large mouvement de soutien et de solidarité avec les démocrates et progressistes de Turquie dont nous partageons la conviction que l’humanité ne fait qu’un.

Lydia Samarbakhsh
membre du CEN du PCF, chargée des Relations internationales
article paru dans Communistes du 19 avril 2017