L’institutionnalisation de la dictature
La Turquie contemporaine s’est bâtie sur la peur et la violence entretenant un état de guerre permanent. L’AKP (islamo-conservateur) entend pérenniser ce système en faisant entrer la Turquie dans la mondialisation capitaliste, en structurant le pouvoir d’État sur des bases politico-militaires tout en prétendant initier un nouveau millénaire de domination turque.
Le 16 avril 2017 se tiendra un référendum constitutionnel-plébiscite, à l’initiative de R.T. Erdogan, dans la perspective d’établir un régime «hyperprésidentiel». Les 18 articles soumis au vote visent à institutionnaliser une dictature de fait. R.T.Erdogan se verrait transférer toutes les légitimités: le pouvoir exécutif, l’intervention dans la justice, la possibilité de gouverner par décret et d’imposer l’état d’urgence. Les institutions intermédiaires seraient liquidées pour imposer la fusion entre la nation et l’homme providentiel. Dans cette Turquie non séculaire, qui ne respectera pas les droits des minorités, tous les espaces de liberté disparaîtront accentuant la polarisation de la société.
Lors des élections législatives de juin 2015, R.T.Erdogan a été mis en minorité par le HDP, hypothéquant cette perspective qui le maintiendrait aux affaires jusqu’en 2029! Pour préserver son pouvoir, R.T. Erdogan a déchaîné un cycle de violence semant la terreur et le chaos en Turquie: attentats, assassinats, rupture du processus de paix et relance meurtrière de la guerre au Kurdistan provoquant des exodes et la destruction de villes entières.
L’échec de la tentative de coup d’État a été mis à profit pour accentuer ce processus. Le HDP qui incarne le multiculturalisme, la reconnaissance des minorités, la liberté d’expression, l’égalité, la démocratie et la résolution de la question kurde a vu l’immunité de ses parlementaires levée. Des purges gigantesques ont conduit à la destitution de 130000 fonctionnaires dont 44000 demeurent emprisonnés sous l’accusation de liens supposés avec la confrérie de F. Gülen ou de «terrorisme». Privés de passeport, ces hommes et ces femmes sont des proscrits dans leur propre pays, condamnés socialement et désormais privés de ressources et du droit de circulation.
Cette répression toujours en cours a provoqué une fragmentation sanglante de l’État, des mécanismes de contrôle et d’équilibre au profit d’un pouvoir dépourvu de légalité et qui annonce d’autres phases de violence.
Impossibilité de faire campagne pour le NON
Dans un contexte d’état d’urgence ou de couvre-feu au Kurdistan, la campagne ne se déroulera pas dans des conditions démocratiques. L’AKP mobilise toutes les ressources de l’appareil d’État: forces de police, les sinistres escadrons ultranationalistes fascistes des «Loups Gris» qui enlèvent, torturent, assassinent les communautés religieuses ou les foyers ottomans. Les partisans du NON ne pourront pas organiser de rassemblements. Ils n’auront pas accès aux médias désormais contrôlés par des affairistes liés au pouvoir, tandis que ceux d’opposition sont fermés ou réduits au silence. Plus de 140 journalistes sont actuellement détenus. Des centaines d’associations, des organisations syndicales sont aujourd’hui interdites et ne pourront pas participer au débat.
Les dirigeants du HDP ne pourront pas faire entendre la voix du NON. Treize d’entre eux sont incarcérés dont les coprésidents S. Demirtas et F. Yüksekdag. Plus de 80 maires sont destitués et 3 000 cadres de l’organisation écroués. Des menaces inquiétantes sur les dirigeants du CHP qui refusent la tyrannie de R.T.Erdogan. Les provocations de l’AKP trouvent désormais un écho dans les pays européens disposant d’une forte diaspora turque.
Les résistances s’organisent
Ne nous y trompons pas. Derrière l’apparence de l’homme fort, il y a un État turc affaibli et ce référendum apparaît peut-être plus ouvert qu’il n’y paraît. En dépit de l’alliance entre l’AKP et le MHP (extrême droite), certaines réticences existent chez les conservateurs et les nationalistes. La victoire du OUI est loin d’être acquise.
Mais surtout, les pressions et la peur ne parviennent pas à tétaniser totalement cette société. Tout le monde ne se terre pas. Les forces démocratiques déploient une résistance bien réelle. Elle prend des formes diverses: sit-in, conférences, mobilisations sur Internet. Le HDP entend pour sa part utiliser tous les moyens dont il dispose encore pour faire prévaloir le NON et engager une démocratisation de la Turquie.
Les démocrates de Turquie attendent, à juste de raison, plus de solidarité. Dans ce combat, ils peuvent compter sur l’engagement et la détermination du Parti communiste français.
Pascal Torre
secteur international du PCF
article paru dans Communistes du 15 mars 2017