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Message de Pierre Laurent, Secrétaire national du Parti communiste français à l’occasion de la commémoration du 70ème anniversaire du soulèvement du peuple malgache le 29 mars 1947 réprimé dans le sang par l’Etat colonial

Monsieur Eric RAKOTOMANGA, Président de l’AKFM, Parti du Congrès pour l’indépendance de Madagascar,
Monsieur Solofo RAZANATOANDRO, Secrétaire Général,
Mesdames, Messieurs,
Cher-e-s ami-e-s et cher-e-s camarades,

Le soulèvement de 1947 est l’aboutissement de plus d’un demi-siècle de lutte contre le joug colonial. C’est une sorte de point d’orgue des multiples manifestations et révoltes qui ont parsemé la Grande île au lendemain des guerres « franco-malgaches » de 1883 et 1895. Dès 1896, en 1908, 1910, 1915, et à chaque décennie, des révoltes éclatent, toutes réprimées sans exception.

La « pacification » coloniale de l’Etat français aura engendré – déjà – de très nombreux morts, évalués à des centaines de milliers.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, des milliers de malgaches qui ont combattu contre l’armée allemande, reviennent au pays portés par les idéaux de la Résistance contre l’occupant nazi. Ce sont ces mêmes valeurs de liberté et d’indépendance qui ont guidé le soulèvement nationaliste du 29 mars 1947. Mais fort de ses certitudes aveugles et de la croyance en sa toute puissance, le rouleau compresseur colonial est passé en force. Comme en Algérie en mai 1945, il a écrasé, assassiné, blessé, torturé. Un crime massif et impitoyable. Combien y-a-t-il eu de morts ? Entre 89 000 et 100 000 selon les organisateurs mêmes de la répression, le haut-commissaire de Chevigné et le général Garbay. Des chiffres qui donnent le vertige.

Confronté durant des décennies aux affres et à la violence du colonialisme français, le peuple malgache a subi un crime contre son humanité en 1947 parce qu’il aspirait à la dignité et à la liberté.

Je voudrais citer mon ami regretté Jean Suret-Canale, célèbre géographe et historien de l’Afrique qui, à l’occasion du cinquantenaire du massacre – c’était il y a 20 ans -  lors d’un colloque de l’AFASPA intitulé « Madagascar, la tragédie oubliée » avait posé ces questions qui attendent toujours réponses :
« Quand verrons-nous les plus hautes autorités de l’Etat reconnaître les crimes des répressions coloniales, en demander pardon et y apporter réparation ? », et il ajoutait « est-ce qu’il y a des évènements que l’on ne veut pas regarder en face ? ».

Depuis cette 50e commémoration, vingt ans se sont écoulés. Deux Présidents de la France, Jacques Chirac et François Hollande, sont venus ici à Madagascar et ont fait un premier pas en reconnaissant le crime. Je cite François Hollande : « C’est bien parce qu’il y avait eu cet engagement des Malgaches pour la France mais aussi pour la liberté, que beaucoup, après la Seconde guerre mondiale, ont commencé à songer à l’indépendance, à cette aspiration qui montait du peuple. Ce mouvement a soulevé l’île tout entière en 1947 et elle fut brutalement réprimée par la France ». Et il a ajouté ceci : « Je rends hommage à toutes les victimes de ces événements, aux milliers de morts et à tous les militants de l’indépendance qui ont alors été arrêtés et condamnés pour leurs idées ».

Cette reconnaissance est un premier geste. Mais il n’y a toujours pas eu ni excuses officielles ni pardon de la France. Cette absence est symptomatique d’un Etat qui, toujours enfermé dans une part de déni, n’arrive décidément pas à s’extirper de son passé colonial, y compris dans sa politique extérieure actuelle.

Est-ce parce que le crime est si grand, les conséquences si lourdes pour le peuple malgache que l’on croit qu’il faudrait ajouter encore plusieurs décennies avant de balbutier quelques pardons ?

Disons-le clairement, il y a des forces réactionnaires en France qui refusent de faire le deuil de la puissance coloniale, de peur d’affaiblir la domination actuelle de l’ancien pré-carré français en Afrique. Elles se sont illustrées avec cynisme à l’Assemblée nationale française dans l’écriture d’un alinéa introduit dans la loi du 23 février 2005, avant d’en être retiré, qui reconnaissait le « rôle positif de la présence française outre-mer ». Plus récemment, la députée d’extrême droite Marion Maréchal Le Pen déclarait, le 23 février 2017 que "les colonies nous ont coûté plus cher qu'elles nous ont rapporté." De son côté, François Fillon évoquait le 28 août 2016 le "partage de culture" à d'autres peuples pour désigner les années de colonisation…

Aujourd’hui, le renoncement à changer de logique et à assumer le regard sur notre passé conduit à s’arrêter au milieu du gué, à reconnaitre le crime, mais sans aller au-delà.

Pourtant, j’estime que la France doit produire des excuses officielles, au nom de notre peuple, au nom des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Les excuses sont une étape nécessaire, pour les victimes, leurs familles, leurs descendances. Une étape nécessaire pour le devoir de mémoire et de connaissance, ici à Madagascar et aussi en France où le sujet continue d’être occulté. Elles sont une étape nécessaire pour la réparation qui doit, 70 ans après, prendre des formes nouvelles. Car la France a une dette incommensurable envers Madagascar. Au lendemain de l’indépendance conquise de haute lutte, il a bien fallu que la Grande île se construise un avenir, malgré le passif colonial. On ne peut pas comprendre Madagascar aujourd’hui sans prendre en considération le lointain passé de la conquête, des dominations et des crimes coloniaux.

Les dominations aujourd’hui ont pris d’autres formes, d’autres visages, plus sournois, plus pernicieux. Après le cycle infernal de l’endettement et de l’ajustement structurel dans les années 80 et 90, imposé à nombre de pays africains pour les obliger à se soumettre aux logiques de la mondialisation du capitalisme financiarisé, l’heure est à l’imposition d’un libre-échange intégral redoutable à terme pour les économies et sociétés africaines. Les Accords dits de partenariats économiques (APE), imposés aux forceps par l’Union européenne, avec la complicité de la France, visent à libéraliser les échanges au profit du plus fort, c’est-à-dire à offrir plus de « liberté » au renard dans le poulailler.

Sur le continent africain comme en Europe, le combat pour mettre en échec ces politiques doit s'amplifier. On ne peut pas rejeter le sinistre Traité transatlantique - contre lequel nous nous battons en France et en Europe, et contre lequel le Parti communiste français a mené une bataille décisive – et accepter les APE sur le continent africain. Ces accords de libre-échange entre l'Union européenne et les pays africains sont les clones du Traité transatlantique, ils visent à ouvrir toujours plus les marchés africains à la voracité destructrice des firmes transnationales.

Il faut à l'inverse, s’attaquer durablement, et par le progrès social, humain et écologique, aux inégalités socio-économiques, aux autoritarismes, aux logiques de corruption, de déstabilisation et in fine de guerre, qui font tant de ravages.

Le rapport d'Oxfam vient de montrer une nouvelle fois l'absurdité des logiques néolibérales, avec les 8 milliardaires les plus riches qui possèdent autant que la moitié de la population terrestre. Voilà les causes du problème, voilà ce à quoi il faut s'attaquer, voilà le chantier qui se dresse devant nous. C'est la mise en évidence qu'à notre époque, nous avons tous les moyens, de connaissance, d'avancées technologiques, les moyens financiers et humains pour répondre aux besoins fondamentaux des peuples. Travailler à établir des relations d’égal à égal entre les pays, réorienter les richesses formidables produites par les hommes vers la réponse aux besoins fondamentaux, pour que cessent les logiques extractivistes inégales, les pillages destructeurs du sol et du sous-sol, sont les chantiers qui nous sont communs. En cela, dans ces batailles et ces luttes, nous nous inscrivons ensemble dans les pas de ceux qui ont donné leur vie pour la liberté, la dignité et l’indépendance.

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le 27 mars 2017

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