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Donald Trump et la politique de la force en Amérique latine

À écouter Donald Trump parler du Mexique, on se croirait revenu au temps de la guerre de 1846 qui a permis aux États-Unis de s’approprier la moitié du territoire mexicain. Selon lui, le Mexique est une terre de voleurs et de bandits, qui doit se soumettre. Le Mexique est coupable d’une bonne partie des maux qui frappent les États-Unis, notamment le chômage et l’insécurité.

Lors de sa campagne électorale, Donald Trump a brandi l’argument d’un Mexique qui aurait «trop profité» des États-Unis grâce au «désastre» qu’est l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) proposé par Ronald Reagan, négocié par George Bush père, signé par Bill Clinton puis entré en vigueur en 1994. Paradoxalement, cet accord a été une pièce maîtresse de la stratégie de Washington alors que le néolibéralisme triomphant des années 1990 était érigé en modèle pour toute relation avec l’Amérique latine. L’Alena peut aussi être considéré comme le prédécesseur des traités transpacifique (TPP) et transatlantique (Tafta). Si cet accord a eu des effets négatifs sur l’emploi aux États-Unis, au Mexique la mise en concurrence avec l’industrie et l’agriculture du voisin du nord a eu des conséquences qui n’ont rien à voir avec la «modernisation» promise. À ce jour, la moitié de sa population vit dans la pauvreté et des pans entiers de l’économie ont été dévastés, à quoi il faut ajouter une explosion de l’exode rural, l’émigration économique massive vers les États-Unis et l’aggravation des phénomènes liés au développement du crime organisé.

Dans cette offensive contre le Mexique, un degré supplémentaire a été franchi fin janvier 2017: des informations dévoilées à la presse font état de menaces et d’insultes que Donald Trump aurait proférées lors d’un échange téléphonique avec le président mexicain, Enrique Peña Nieto. Selon ces informations, les menaces concernent un possible envoi de troupes états-uniennes sur le territoire mexicain pour arrêter des trafiquants de drogue que l’armée mexicaine n’arrive pas à appréhender. Le gouvernement de Mexico nie qu’un tel échange ait eu lieu. Andrés Manuel Lopez Obrador, le candidat à la présidence du mouvement progressiste Morena, a exigé que l’enregistrement de cette conversation soit rendu public.

Les travailleurs immigrés mexicains et latino-américains, ainsi que leurs familles, que Donald Trump considère comme des profiteurs sont menacés d’expulsion. Il y a aux États-Unis 11 millions de sans-papiers sur une population immigrée de 55 millions de personnes. Les mesures que Donald Trump prendra viendront renforcer les mesures déjà appliquées depuis quelques années dans plus de la moitié des États de l’Union, interdisant aux sans-papiers l’accès aux services sociaux, à la santé, à l’éducation.

Donald Trump a signé le décret décidant de la construction d’un mur à la frontière, mur qui, proclame-t-il, devra être payé par le Mexique. Enrique Peña Nieto a rejeté une telle possibilité. Quelques jours avant une rencontre programmée entre les deux présidents, Donald Trump a fait savoir à son homologue, par un simple tweet qu’il était inutile qu’il se déplace s’il n’acceptait pas de payer.

L’ALENA, PREMIER GRAND TRAITÉ DE LIBRE-COMMERCE DE LA MONDIALISATION NÉOLIBÉRALE

En provoquant l’échec du TPP, les États-Unis privent l’Alliance du Pacifique, créée par la Colombie, le Mexique et d’autres pays alliés de Washington pour contrer les projets d’intégration régionale progressiste, de l’un de ses principaux éléments : assurer la connexion avec les marchés asiatiques et faire un pas de plus dans la libéralisation du commerce dans cette partie du monde. Le président de la Colombie, Juan Manuel Santos, a appelé les pays membres de cette alliance à répondre aux «actions déstabilisatrices» de Donald Trump contre l’Alliance du Pacifique et contre le Mexique.

Washington va privilégier les accords bilatéraux, en position de force, passés au cas par cas et selon ses propres intérêts. Donald Trump veut remodeler l’Alena et pourrait exiger une plus grande ouverture et libéralisation dans des secteurs tels que les messageries, le commerce électronique, le secteur financier et –pourquoi pas?– l’éducation et la santé. Les représentants de la Banque américaine au Mexique ont déjà fait savoir qu’ils attendaient cette ouverture.

La mise en cause d’Alena fait partie d’un ensemble de choix politiques et économiques de Donald Trump. La taxe de 20% imposée aux exportations des produits fabriqués dans les usines délocalisées au Mexique s’accompagnera d’une baisse de la fiscalité des entreprises, qui passerait de 35% à 12%. Donald Trump a aussi promis le démontage de 75% des réglementations fédérales, par exemple environnementales, touchant les entreprises. Il s’agit de mesures qui visent à attirer les grandes compagnies et qui risquent de provoquer un séisme dans l’économie mexicaine.

Les obstacles créés à l’immigration risquent aussi de porter un coup à l’économie du Mexique: les envois d’argent des émigrés, soit 27 milliards de dollars, sont la première source de devises du pays, plus que le pétrole. Cette politique xénophobe concerne aussi le reste des pays latino-américains, notamment le Guatemala et le Salvador pour qui ces envois d’argent représentent respectivement 15% et 16% de leur PIB.

L’ADMINISTRATION TRUMP ET SES PROJETS POUR L’AMÉRIQUE LATINE

L’équipe Trump de transition qui s’occupe des relations avec l’Amérique latine est une indication des orientations à venir : des opposants à la relance des relations diplomatiques avec Cuba, tels que John Barsa, collaborateur de l’ancien représentant républicain à la Chambre Lincoln Diaz-Balart, Otto Reich, l’un des rédacteurs de la loi Helms-Burton, et Yleem Poblete, conseillère de Ileana Ros-Lehtinen, représentante à la Chambre connue pour son activité contre la révolution cubaine, en font partie.

Rex Tillerson, le nouveau secrétaire d’État et ancien P-DG de la compagnie pétrolière ExxonMobil, a des comptes à régler avec le gouvernement vénézuélien qui a exproprié la compagnie en 2007. ExxonMobil a attisé le différend territorial qui oppose Caracas au Guyana en annonçant la découverte de nouvelles réserves pétrolifères et son intention de les exploiter.

Concernant Cuba, Rex Tillerson a annoncé la «révision intégrale» des politiques et des ordres exécutifs décidés par Barack Obama, et que les relations seraient conditionnées aux changements politiques dictés par Washington. Il a fait savoir qu’il évaluera l’accord de paix signé entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et les Forces armées révolutionnaires de Colombie avant de décider du degré de soutien à ce processus. La Colombie et le Brésil pourraient jouer un rôle avec l’Organisation des États américains (OEA), dans les efforts pour pousser ce qu’il appelle «une transition négociée» au Venezuela.

LES POSITIONS DES GOUVERNEMENTS LATINO-AMÉRICAINS

Lors de son 5e sommet, les 25 et 26 janvier derniers, la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (Celac) a adopté une déclaration qui réaffirme son adhésion aux principes et valeurs de la charte des Nations unies et du droit international: le respect de la souveraineté, la non-ingérence dans les affaires internes des États, le dialogue, la solution pacifique des différends, l’interdiction du recours à la force. La Celac propose «le renforcement du multilatéralisme», rejette la criminalisation de l’immigration ainsi que toutes les formes de racisme et de xénophobie et considère le combat contre le changement climatique comme une «priorité urgente». La déclaration prône l’action commune des États afin d’organiser les flux migratoires dans le respect des droits humains. Le défi à relever est celui de l’inclusion sociale, l’intégration dans l’égalité et la non-discrimination.

La Celac s’oppose aux mesures coercitives exercées contre le Venezuela, soutient la relance des relations entre Cuba et les États Unis et demande la fin du blocus ainsi que le retour de Guantánamo sous la souveraineté de Cuba.

À cette occasion, Raul Castro a souligné la nécessité de l’unité et de l’intégration politique, économique, sociale et culturelle de la région pour mieux affronter la situation présente et d’un engagement ferme en faveur de la déclaration de 2014 qui fait de la région une zone de paix où la non-intervention dans les affaires des autres États est fondamentale.

L’absence d’Enrique Peña Nieto, le président du Mexique, a montré le peu d’importance que son gouvernement donne à la perspective d’une telle unité face aux défis qui se profilent dans la région et dans le monde avec l’élection de Donald Trump. Evo Morales, en insistant sur la nécessité de renforcer l’intégration régionale pour faire face à la conjoncture actuelle, a appelé le gouvernement mexicain à rejoindre le groupe des 77 qu’il a quitté en 1994 pour rejoindre l’OCDE en même temps qu’il intégrait l’Alena.

Pour Alvaro Garcia Linera, vice-président de la Bolivie, l’élection de Donald Trump, ainsi que le vote en faveur du Brexit sont l’expression de l’échec de «l’illusion libérale» qui est la mondialisation façonnée par la révolution conservatrice de Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Cette mondialisation, à laquelle on a voulu donner une «fonction idéologique et politique», visait à faire du néolibéralisme la «destinée naturelle et finale de l’humanité». C’est le président élu des États-Unis, la puissance qui en est à l’origine, qui prend acte de l’échec de ce projet politique et semble vouloir chercher d’autres formes de domination.

Obey Ament
membre de la commission des relations internationales du PCF – Amérique latine

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le 08 mars 2017

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