Pour reprendre les propos de Madame Aminata Barry de la Guinée, l’Afrique ne refuse pas le développement. L’Afrique est malade. On ne soigne pas l’Afrique là où elle a mal.
En effet, l’histoire de l’Afrique et plus précisément l’histoire contemporaine africaine, montre que le continent, dans presque sa totalité, est sous domination impérialiste où tous les mécanismes notamment politiques, militaires et économiques semblent avoir été mis pour continuer à exploiter les pays africains. Pourtant, aussi paradoxalement que cela puisse paraître, ceux-ci sont quasiment indépendants depuis un demi siècle.
Malgré le chemin tracé depuis l’aube des indépendances par des hommes comme Kwamé Nkrumah, Patrice Lumumba…, l’Afrique peine à édifier une économie de libération et on assiste de façon de plus en plus accrue à une Afrique démunie au triple plan culturel, politique et économique.
Comme le Président Thomas Sankara aimait le dire, «l’esclave qui ne se bat pas pour se défaire de ses chaînes ne mérite pas qu’on s’apitoie sur son sort.» Cette vérité inhérente à la dignité humaine se manifeste aujourd’hui dans la plupart des pays africains où les populations, pour prendre en main leur destin, ont appris à affronter les systèmes qui les exploitent. Ainsi, de la révolution maghrébine à l’insurrection populaire au Burkina Faso, on assiste à une volonté des peuples africains de s’attaquer aux bombes semées en Afrique par l’Occident afin de prendre en main leur propre destin par leur liberté de penser et de décider par eux-mêmes de leur avenir.
Malheureusement, ces tentatives isolées à l’image de la Révolution de Thomas Sankara ne peuvent longtemps prospérer faute d’une unité combattante de l’Afrique, aujourd’hui plus que jamais sclérosée par ses propres contradictions et les conflits d’intérêts des gouvernants africains. Les grands ensembles politiques ou économiques à l’image de l’Union africaine, la CEDEAO, la CEMAC sont des structures plutôt de prestige de Chefs d’Etats que d’instruments au service des peuples en lutte pour leur survie parce que confrontés à la pauvreté, à la maladie, à la guerre et au terrorisme pendant que les ressources du continent continuent d’être pillées et rapatriées en Occident qui ferme pourtant ses portes aux migrants.
Face à un tel contexte qui a permis à l’Occident de monopoliser le monde sur la base de rapports purement capitalistes et de domination, comment les africains peuvent-ils décider eux-mêmes de leur avenir?
L’expérience révolutionnaire de Thomas Sankara a été une réponse adéquate avec la formule simple qui était que le Burkina Faso devait oser inventer l’avenir en prenant en main son destin. Par exemple, en consommant ce qu’il produit. Ainsi donc, par sa vision volontariste, Thomas Sankara a su réaliser un bond en avant social jamais égalé. Par exemple, le taux de scolarisation est passé de 16 à 32%; chaque village avait un poste de santé. Il a créé le transport urbain en commun, réalisé 32 barrages et retenues d’eau par an et plus de 600 kilomètres de route bitumées par an, etc…
Mais au-dela de ces réalisations, le Président Thomas Sankara a laissé aux burkinabés et à la postérité des idées fortes que ses assassins et ses bourreaux n’ont jamais pu effacer malgré toutes les tentatives. Il s’agit des valeurs de justice sociale, de probité, de moralisation de la chose publique, de lutte contre la corruption et l’impunité, de la santé pour tous, de l’éducation pour tous, de la nourriture, l’eau, le logement, l’habillement etc…pour tous. Toutes choses d’ailleurs qui ont amené le Président Thomas Sankara à changer en 1984 le nom du pays en Burkina Faso, c’est-à-dire pays des hommes intègres.
Assassiné le 15 octobre 1987, le Burkina Faso de Blaise Compaoré renoua avec le conformisme occidental notamment français. Suite au discours de La Baule en 1990, des élections cycliques mais toujours gagnées d’avance se déroulèrent dans une espèce de stabilité et de silence morbide qui dissimulaient pourtant une colère et une rage du peuple. Pendant 27 ans, les burkinabés ont en effet, entre humiliations et privations, su dominer leur résignation et leur colère afin de résister face au pouvoir qui ne comptait que sur la dictature ; en témoignent les nombreux crimes de sang, la corruption et l’impunité comme mode de gouvernance.
Malgré les signaux forts donnés par le peuple burkinabé au régime Compaoré en 1998 suite à un autre assassinat crapuleux, celui du journaliste d’investigation Norbert Zongo, les émeutes de 2008, les mutineries de 2011, Blaise Compaoré, toujours soutenu par ses amis, notamment la France, a voulu faire croire qu’on peut tromper le peuple tout le temps.
La suite, l’histoire retiendra qu’il a été obligé de fuir en plein midi son propre pays malgré son régiment de sécurité présidentielle (RSP) hyper armé et renseigné. Seulement, face à une insurrection inédite, il laisse dans sa capitulation des centaines de blessés et plusieurs dizaines de morts dont la plupart sont des jeunes aux mains nues.
Aux lendemains de la chute du régime de Blaise Compaoré et pendant que le peuple meurtri exigeait désormais une meilleure gouvernance fondée sur l’idéal de Thomas Sankara, une certaine communauté internationale dépêchée à Ouagadougou imposa sous la menace de sanctions économiques, le retour immédiat à l’ordre constitutionnel avec en prime l’organisation, dans de brefs delais, d’élections «libres» et «transparentes».
Les élections organisées par le gouvernement transitoire eurent lieu le 29 novembre 2015 et consacrent la victoire du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) dont le candidat Monsieur Roch Marc Christian Kabore a été élu dès le premier tour.
Ce parti né en 2014 suite à une crise interne au CDP, vient confirmer son leadership à travers les élections municipales qui ont eu lieu le 22 mai dernier.
Le nouvel homme fort du Burkina Faso n’est rien d’autre que l’ancien Président du parti de Blaise Compaoré, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP); ancien Président de l’Assemblée nationale sous Blaise Compaoré; ancien Premier ministre et plusieurs fois ministre de Blaise Compaoré.
Toutefois, l’homme qui a une riche carrière politique se réclame de la Gauche démocratique et son nouveau parti le Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) quoique né d’une scission avec le CDP est social démocrate avec lequel mon parti l’Union pour la Renaissance/ Parti Sankariste (UNIR/PS) a décidé de constituer une alliance structurelle en vue de la gestion du pouvoir d’Etat post insurrectionnel.
Alliance contre-nature pour certains, raisonnable pour d’autres. Ce qui est sûr, la rupture politique tant attendue par le peuple insurgé semble traîner le pas, faisant dire à un chroniqueur politique que le «MPP sera, sans aucun doute, le grand gagnant de ces élections. Il se produit la chose suivante; le système ne satisfait pas les burkinabés, mais ceux-ci s’abstiennent d’en contrarier les effets. L’insurrection est passée et les gens sont retournés à leurs habitudes: «vivre en marge du système».
Ce paradoxe qui dépeint la situation politique au Burkina Faso post inssurectionnel pose l’épineuse question de savoir si les peuples africains peuvent prendre en main leur destin comme l’avait voulu le Président Thomas Sankara. Et comment «déminer les bombes semées en Afrique par l’Occident et laisser les Africains penser et décider par eux-mêmes leur avenir?»
En tout cas, l’exemple du Burkina est un cas d’école dont la jurisprudence interpelle une fois de plus les peuples en lutte pour leur liberté et pour la démocratie véritable, gage de tout progrès économique et social.
A ce niveau, le Burkina Faso et mon parti l’UNIR/PS ont une expérience à partager qui est une similitude avec les législatives de juin 2012 en France où malgré ce que Pierre Laurent appelle une «insurrection citoyenne», plus de 40% des électeurs français n’ont pas voté.
Au Burkina Faso, après l’insurrection populaire les 30 et 31 octobre 2014 et après la résistance active contre le coup d’Etat du 16 septembre 2015 du Général Gilbert Diendere, on s’attendait visiblement à ce que les électeurs choisissent la rupture et l’alternative. L’UNIR/PS dont j’étais le candidat à l’élection présidentielle a proposé le parachèvement de l’insurrection par un projet de société endogène et participative qui serait fondée sur les valeurs tant prônées par les burkinabés et qui ont été défendues par le Président Thomas Sankara.
Le comble au Burkina Faso n’est pas seulement le fort taux d’abstention, mais l’appel systématique au boycott des élections par une partie de la société civile, comme la Coalition contre la vie chère (CCVC) au motif que les élections ne servent à rien.
Dans ces conditions, la légitimité du pouvoir reste tributaire de sa popularité en termes de satisfaction des besoins primaires des populations. D’où la particularité du schéma burkinabé qui se caractérise de plus en plus par la prédominance d’une société civile plus organisée et plus attachée à la gouvernance et à la résilience. Son alerte et sa réactivité font d’elle le gardien d’une nouvelle façon de faire la politique et la démocratie au Burkina Faso. Par exemple, on a vu au Burkina Faso la société civile faire démettre des ministres au regard de leur moralité jugée douteuse.
Malheureusement, force est de constater, au regard du passif économique et social laissé par 27 ans de pouvoir patrimonique de Blaise Compaoré que, malgré cette volonté et cette maturité du peuple burkinabé, le pouvoir politique actuel ne semble pas capable pour le moment de propositions innovantes en vue d’un élan social comme on l’a vu avec le Président Thomas Sankara de 1983 à 1987. Cette situation pour le moment agaçante pourrait être à terme révoltante si les espoirs des burkinabés s’estompent.
Déminer les bombes semées en Afrique par l’Occident et laisser les africains penser et décider par eux-mêmes leur avenir est en revanche une préoccupation essentielle et fondamentale pour le Burkina Faso qui a prouvé à la face du monde que quand le peuple se met debout, l’impérialisme tremble!
Mais comment déminer les bombes? Et si les bombes étaient nous-mêmes?
On ne peut pas transformer la société si on n’est pas au pouvoir. Mais comment accéder au pouvoir pour transformer la société?
Ces questionnements me taraudent depuis deux décennies quand j’ai décidé avec des camarades de créer un parti politique en jurant le 15 octobre 2000 sur la tombe de Thomas Sankara d’être fidèle à ses idéaux et à son combat.
Plus de quinze ans après, sans soutien financier et matériel véritable, seulement dans l’abnégation et convaincu que là où s’abat le découragement, c’est là où s’élève la victoire des persévérants, nous sommes parvenus depuis 2009 à organiser toute l’opposition politique autour du chef de file que j’étais.
Cela a permis de faire converger toutes les forces vives et de réaliser une alternance démocratique pour les élections du 29 novembre 2015 jugées acceptables par tous les acteurs aussi bien politiques que de la société civile.
C’est ici le lieu et le moment de faire une halte pour rappeler le rôle primordial que mon parti et moi-même avons joué dans l’avènement de l’insurrection populaire et contre le coup d’Etat du 16 septembre 2015 par une résistance active et citoyenne. C’est à travers cette insurrection citoyenne et populaire que l’image du Capitaine Thomas Sankara a refait surface et va s’imposer à la marche de notre histoire récente. Seulement pour en arriver là, l’UNIR/PS a su garder intact l’héritage de l’homme du 4 août 1983, c’est-à-dire Thomas Sankara, mais aussi a su continuer le combat et son oeuvre.
Pendant 27 ans, nous avons opposé une résistance farouche à Blaise Compaoré et à son régime à qui nous avons tenu tête dans tous les combats démocratiques; aussi bien dans la société civile que dans l’arène politique. Mieux, j’ai engagé mon cabinet d’avocat, ma vie et celle de ma famille dans la lutte militante qui a pour résultat aujourd’hui que Blaise Compaoré et ses caciques, dont certains sont déjà en prison, sont poursuivis devant la justice burkinabé et doivent répondre devant l’histoire.
Une bombe est certes désamorcée mais comme le dit le professeur Joseph Ki Zerbo, quand vous sautez dans le feu, il y a nécessairement un deuxième saut à faire. Dans notre cas, le plus difficile reste à faire car comment décider par nous-mêmes, à l’instar de beaucoup de pays africains, de notre avenir?
A cette interrogation, je trouve un debut de réponse dans le livre de Pierre Laurent, le nouveau pari communiste quand il dit ceci: «le monde d’aujourd’hui, s’il nous porte à la révolte et à l’indignation, invite concrètement l’humanité au dépassement des logiques capitalistes. Cela ne vaut pas prédiction. L’action humaine en décidera. Je dis seulement que la recherche politique concrète de ce dépassement, pour inventer une humanité débarrassée de dominations et des aliénations qui brident aujourd’hui l’émancipation humaine, est plus utile que jamais, même si elle n’a pas abouti au siècle précédent. Cette recherche dans l’action et dans la pensée est le sens même de notre engagement dans ce XXIème siècle qui débute sous les auspices d’une crise globale du système capitaliste mondialisé et de son hégémonie planétaire, une crise de civilisation qui oblige à repenser les relations des êtres humains entre eux, ainsi que celles des êtres humains avec leur planète.»
L’originalité de notre demarche au Burkina Faso, c’est que plus rien ne sera comme avant.
Maître Bénéwendé S. SANKARA
Président de l’UNIR/PS
1er Vice-Président de l’Assemblée Nationale
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