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L'AFGHANISTAN A LA VEILLE DES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES DU 5 AVRIL 2014

Le 5 avril prochain, les 12 millions d’électeurs afghans auront la possibilité de voter pour l’un des 11 candidats à la Présidence de la République en remplacement d’Hamid Karzaï (55 ans) élu depuis la chute des Taliban en 2001 et qui ne peut briguer un troisième mandat selon la Constitution.

26 candidats avaient soumis officiellement leur candidature à la commission électorale. Parmi eux, une seule femme qui a été éliminée sans qu’aucune raison n’ait été avancée. Les règles de candidature étaient très strictes : déposer une caution de 18 000 dollars et, surtout, fournir les signatures de 100 000 partisans répartis dans au moins 20 des provinces du pays afin de prouver que le candidat dispose d’une véritable représentativité. Le même jour se dérouleront les élections aux conseils provinciaux pour lesquelles se sont portés candidats 2505 hommes et 308 femmes.

LA SITUATION DANS LE PAYS

Le contexte dans lequel se déroule la campagne électorale est fébrile, plein d’incertitudes, alimenté par les violences persistantes dues à l’apparente irrésistible montée en puissance de l’insurrection talibane et au départ des forces étrangères de l’OTAN prévu fin 2014.

Douze années d’une guerre menée avec des moyens militaires énormes et au prix d'un coût financier tout aussi énorme et de pertes humaines de plus en plus lourdes ne sont pas venus à bout de l’insurrection menée par les Taliban. Le Représentant Spécial du Secrétaire Général de l’ONU pour l’Afghanistan, Jan Kubis, avance, le 17 décembre 2013, que «  entre le 16 août et la fin novembre, la MANUA[1] a enregistré 2730 civils tués et 5 169 autres blessés, soit une augmentation de 10 % par rapport à la même période en 2012.

Janvier 2014 a vu une recrudescence des attentats, particulièrement sur Kaboul et Hérat et nombreux sont les membres des équipes des candidats victimes de tentatives d’attentats, voire d’attentats : Ismaël Khan, candidat à la vice-présidence avec Abdul Rassoul Sayyaf a été visé dans sa province de Hérat ; le docteur Abdullah Abdullah a déjoué plusieurs tentatives d’attaques, deux membres de son équipe ont été abattus début février en pleine rue à Hérat (ouest), la veille du premier meeting de campagne, etc. ... Ces meurtres font resurgir le spectre de la précédente élection présidentielle, en 2009, un scrutin chaotique, entachée de violences et de fraudes.

Enfin, l’assassinat d’une balle en pleine tête, dans une rue de Kakoul, le 11 mars dernier d’un journaliste anglo-suédois – Nils Horner - alourdit encore le climat d’insécurité.

L’insécurité est donc la préoccupation majeure de la population afghane ; un des partisans du candidat Ashraf Ghani, Arefa Alizada a déclaré à l'AFP «  si la situation s’aggrave, beaucoup de gens, dont moi-même, ne pourront pas voter » (BBC Afrique 2/02/14).

la seconde source de préoccupation des Afghans est la corruption qui gangrène  l’administration afghane : son « chiffre d'affaires » se serait élevé, en 2012, à environ 4 milliards de dollars, soit l’équivalent de 2 fois les recettes de l'Etat (le Point 6/10/2013). Elle gangrène tous les niveaux de la vie administrative. En 2012, la moitié des Afghans a versé à un fonctionnaire un pot-de-vin en contrepartie du  service, public, qu’il avait à rendre. Près de 30 % 'entre eux en ont fait de même dans le secteur privé, selon une étude sur les tendances de la corruption, publiée le 3 février 2013 conjointement par l’Autorité de surveillance et de lutte contre la corruption et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). « Les pots-de-vin que les Afghans ont versé en 2012 représentent le double du revenu domestique du pays ou encore un quart du montant total des annonces de contribution faites à Tokyo », a indiqué le représentant régional de l'ONUDC, Jean-Luc Lemahieu.

Si la corruption est perçue par une majorité d’Afghans comme l’un des défis les plus importants qui se posent à leur pays, il apparait qu'elle se banalise et que le clientélisme qu’elle soutient soit considéré comme partie intégrante de la vie quotidienne.

Enfin la dernière question, et pas la moindre, qui pèse sur la situation actuelle du pays est la drogue, sa culture et ses trafics.

Victor Ivanov directeur du Service fédéral russe de contrôle des stupéfiants précise dans l’agence Ria Novosti le 14 janvier que «  en 2013, l’Afghanistan a produit des stupéfiants sur une superficie de 209 000 hectares. C’est un niveau record ».

John Sopko, l’inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan (Sigar) dans un rapport avertit aussi qu’avec ces plus de 200 000 hectares de culture de pavot et 90 % de la production mondiale, « les paysans afghans cultivent plus d’opium aujourd’hui qu’à aucun moment de l’histoire moderne ». En 2001, année du renversement des talibans, seuls 8.000 hectares y étaient consacrés.

« La situation en Afghanistan est désespérée et avec très peu de perspectives d’amélioration en 2014 ou au-delà », écrit le Sigar. "Ni les Etats-Unis, ni l'Etat afghan ne semble avoir de stratégie claire pour combattre efficacement le trafic de drogue aujourd’hui et encore moins après 2014 " quand les forces de l’Otan auront terminé leur mission de combat.

AU PLAN INTERNATIONAL

La question qui reste ouverte est celle du maintien ou non d’une force militaire dans le pays après le départ des 87 000 soldats de l’OTAN fin 2014. Depuis des mois les gouvernements afghan et américain tentent de mettre en place un accord bilatéral  de sécurité (Bilateral Security Agreement -BSA)  sensé définir les modalités d’une présence étrangère dans le pays après 2014 avec la charge, en soutien des forces de sécurité – armée et police- afghanes, de garantir un niveau de sécurité acceptable. Chaque gouvernement exige de l’autre des conditions sur lesquelles il n’y a pas d’accord aujourd’hui (Karzaï veut  « le démarrage d’un processus de paix » avec les Taliban, Obama demande l’immunité pour les soldats américains, etc.).

La Loya Jirga, grande assemblée traditionnelle afghane qui rassemble des Anciens et notables tribaux avec 2 500 délégués issus de toutes les régions du pays, avait pourtant apporté, en novembre dernier, son soutien à la signature du BSA.

Karzaï maintient qu’il ne signera pas ce traité, laissant au nouveau président élu le 5 avril le soin de le faire … ou non.

LES TALIBAN

Les Taliban perpétuent les attentats tant contre la population que contre les « envahisseurs »(ONG comprises), et contre les candidats et leurs équipes. Ils promettent de perturber les élections présidentielles arguant qu’il s’agit d’une élection «  fantoche manipulée par les Etats Unis », un exercice «  non islamique ». Aujourd’hui ils franchissent un nouveau pas et promettent, dans un communiqué non signé, diffusé sur le site officiel des Taliban, mis en ligne le 10 mars dernier (RFI 10/02/14), un bain de sang le 5 avril «  Nous nous en prendrons aux candidats, aux forces de sécurité et aux électeurs ». « C’est l’obligation religieuse de tous les Afghans de déjouer la dernière manipulation des envahisseurs déguisée en élection »…«  Nous appelons tous nos compatriotes à se tenir éloignés des bureaux de vote, des rassemblements politiques, afin que, avec l’aide d’Allah, leurs vies ne soient pas mises en danger  » (Courrier International 10/3/13).

LES CANDIDATS

0nze candidats ont été retenus sur les 26 personnes qui avaient déposé leur dossier. Aujourd’hui ils ne sont plus que 10 puisque le frère de Hamid Karzaï, Qayum Karzaï a retiré sa candidature et appelé à soutenir Zalmaï Rassoul. Les conditions draconiennes à remplir pour que le dossier de candidature soit validé ont interdit à la « Coalition des Partis Démocratiques et Progressistes et des Organisations » de déposer le leur et qui appelle, dans ces conditions, à soutenir Zalmaï Rassoul avec lequel un accord[2]  a été passé. Cette Coalition a comme ambition de contribuer à la reconstruction démocratique du pays pour son développement sur la base de la réconciliation nationale, du rétablissement de la sécurité et du développement économique et social.

Les 4 principales équipes candidates sont les suivantes. Le ticket comporte un président, un 1er et un 2ème vice-président :

1- Ashraf Ghani, né en 1949, Pachtoun, ancien Ministre des Finances, anthropologue, technocrate pro-américain, avait obtenu 3 % lors des élections de 2009 ; avec comme vice-présidents, Rachid Dostom, Ouzbèk, ancien Seigneur de guerre compromis dans nombre de cas de violations des droits de l’homme, ancien membre du PDPA (Parti Démocratique du Peupe Afghan, au pouvoir de 1976 à 1992) et Mohamad Sarwar Daneche, Hazara membre de la direction du parti Wahdat,

2- Abdullah Abdullah, né en 1960, Tadjik, ancien ami de Massoud, moudjahiddin, ancien ministre des Affaires Etrangères, second aux élections de 2009 avec 30 % des voix, avec comme vice-présidents Mohamad Khan, Pachtoun, ancien commandant du Parti Islamique de Hekmatyar et Mohamad Mohqueq, Hazara dirigeant du Parti Wahdat.

3- Zalmaï Rassoul, né en 1944, Pachtoun, (de la puissante tribu des Mohammadzaï) a fait ses études en France, médecin, ancien directeur du cabinet de Roi Zaher Shah, dernier roi, ancien Ministre des Affaires Etrangères, avec comme vice-présidents Ahmad Zia Massoud, frère de Massoud, Tadjik et gendre de Rabani, ancien Président de la République après la chute du PDPA, et Habiba Sarabi, Hazara (la seule femme), ancienne gouverneure de Bamyan.

4- Abdul Rassoul Sayyaf, né en 1946, Pachtoun, dirigeant du Parti de l'Union islamique, formé au Caire, un des fondateurs des Frères Musulmans en Afghanistan, professeur de Théologie, fondamentaliste connu, avec comme vice-présidents, Mohamad Ismaïl Khan, Tadjik, ancien Ministre de l'énergie et de l’eau, ancien Seigneur de Guerre de la Province de Herat, ancien commandant du Jamiat, ce religieux formé en Egypte est considéré comme une des figures dirigeantes d’Al Qaïda, au même titre que feu Oussama Ben Laden, pendant la présence soviétique, dans les années 80 et Mohamad Aref, Ouzbèk, ancien moudjahiddin.

Les autres candidats ne sont guère représentatifs, et, outre le frère de Karzaï, 3 autres « petits » candidats auraient renoncé tout dernièrement.

Aujourd’hui, la situation apparaît particulièrement volatile et le jeu des alliances est en reconstruction fréquente, sinon constante.

        

 Christiane Marcie

Relations Internationales du PCF


[1]         Mission d'Assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) décidée le 28 mars 2002 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies.

[2]           l'accord avec Zalmaï Rassoul inclut la mise en œuvre des conditions d'un développement démocratique dans le pays, la défense des droits des femmes, et s'accorde sur nombre d’autres points avec le programme de la Coalition, dans les domaines de l’éducation, du développement économique, de la protection du patrimoine, principalement. De même Zalmaï Rassoul s'engage à soutenir les candidats que la Coalition a été en mesure de présenter aux élections régionales et parlementaires.

 

 

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L'AFGHANISTAN A LA VEILLE DES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES  DU 5 AVRIL 2014

le 01 avril 2014

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