Le 5 février dernier, jour anniversaire de l’Union des principautés de Moldavie et de Valachie qui en 1859 forma l’embryon de la future Roumanie, plus d’un demi-million de Roumains sont descendus dans les rues. Ils demandent l’abrogation de l’ordonnance d’urgence promulguée par le gouvernement social-démocrate qui limite les peines de prison pour abus de pouvoir seulement au-delà d’un préjudice de plus de 44000 euros. Après plusieurs jours de rassemblements, le gouvernement a dû retirer cette ordonnance et le ministre de la justice a démissionné.
Cela intervient moins de deux mois après les élections législatives remportées par le Parti Social-Démocrate (PSD) qui ont instauré une cohabitation avec le président conservateur Klaus Iohannis. Ce dernier utilise tous les moyens à sa disposition pour freiner l’action du gouvernement. Il a refusé la nomination de Sevil Shhaideh comme première ministre. Une femme musulmane ne convient pas à ce conservateur. Sorin Grindeanu prend donc la tête d’un gouvernement qui augmente le salaire minimum, diminue les impôts pour les plus pauvres et promet l’abolition de la flat tax et l’augmentation de la taxation sur les revenus du capital. Le président du PSD, devenu président de la Chambre des députés, Liviu Dragnea, est en réalité l’homme fort de la majorité. L’ordonnance d’urgence lui était directement profitable, alors qu’il fait face à une enquête pour abus de pouvoir.
La nature de ce mouvement de rue est très discutée. Soulignons deux éléments majeurs.
Ce mouvement montre donc les profondes fractures qui divisent la société roumaine et l’appareil d’état. Le PSD représente plutôt les intérêts des villes moyennes de province, de la bourgeoisie locale, de son système clientéliste et des employés de la fonction publique. Le bloc conservateur, davantage implanté dans les grandes villes, celui de la bourgeoisie nationale. Il s’appuie sur un appareil d’État, composé de la DNA, des services secrets et de la police, qui agit de plus en plus hors de tout contrôle.
Les grands absents sont les classes populaires. La Roumanie est le pays le plus pauvre de l’UE. 25% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Plus de 40% des travailleurs roumains, soit près du double de la moyenne européenne, ne sont pas protégés par des conventions collectives. Le taux d’emploi des jeunes de 18 à 25 ans est passé de 37% en 1996 à 24% en 2012. L’ensemble de ce tableau crée une situation de grande instabilité, dans une région clé pour l’évolution des rapports de force géopolitiques en Europe. On peut gager que d’autres mouvements naîtront, aux conséquences imprévisibles.
Vincent Boulet
membre de la commission des relations internationales du PCF et
représentant du PCF au Bureau exécutif du PGE
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