Accueil
 
 
 
 

ONU: «priorité absolue à la paix»

Au moment de la bataille d'Alep mais surtout de l'annonce par Moscou d'un accord de paix Russie-Turquie-Iran sur la Syrie coïncidant avec l'entrée en fonctions d'Antonio Guterres, son nouveau secrétaire général, de nombreux commentateurs ont jugé opportun de taxer à nouveau d'«impuissance» l'Organisation des Nations unies.

C'était oublier un peu facilement les obstacles pointés par le précédent secrétaire général, BanKi-Moon, et son premier émissaire dans le conflit syrien, Lakhdar Brahimi, s'agissant de leurs efforts pour mettre un terme à la guerre, et passer un peu vite sur la résolution adoptée un an plus tôt au Conseil de sécurité pour une transition démocratique en Syrie.

Ban Ki-Moon soulignait en 2015: «Il ne suffit pas de s’en remettre à la seule Syrie pour trouver une solution (…); cinq pays sont appelés à jouer un rôle clef: la Fédération de Russie, les États-Unis, l’Arabie saoudite, l’Iran et la Turquie. Mais tant qu’ils ne sont pas prêts au compromis entre eux il serait vain d’attendre un changement sur le terrain.» Tous les événements ultérieurs à cette déclaration ont confirmé sa justesse, et c'est le peuple syrien qui en a payé et continue d'en payer le prix le plus lourd. Interrogé sur les raisons de sa démission, Lakhdar Brahimi avait de son côté souligner l'hypocrisie des Etats engagés dans le conflit: «les gens qui ont les moyens d’y mettre fin ne sont pas prêts à faire les concessions nécessaires à une solution (…) Tout le monde s'est trompé.» et d'ajouter «Les gens qui s’intéressent à la Syrie ne mettent pas l’intérêt du peuple syrien en premier. Si l'on se concentrait sur ses besoins, je crois que cela irait mieux pour tout le monde.»

Première leçon, l'«impuissance» de l'ONU est moins celle de l'organisation en soi que celle des Etats qui la composent et le reflet du manque de volonté politique de leurs représentants, voire de leurs erreurs d'analyse et de choix. Dans le cas syrien, chacun a agi en aggravant le conflit militaire étant obsédé par le fait de s'imposer sur son ennemi. C'est bien la guerre qui l'a emporté sur le politique, démissionnaire ou pire encore, ravalée à l'expression d'un seul bras-de-fer. Le conflit syrien est le symptôme d'un affaiblissement de l'ONU voulu par les grandes puissances réengagées dans des logiques de puissance, au mépris des avancées des institutions multilatérales et du droit international. Le sort réservé aux migrants par les pays de l'Union européenne en est une manifestation tragique et insupportable.

Deuxième leçon, elle vient d'ailleurs. Nul Etat, nul gouvernement ne peut plus désormais réellement se prévaloir d'une prétendue indépendance (en réalité, indifférence totale) des débats et résolutions du Conseil de sécurité ou de l'Assemblée générale de l'ONU. Ainsi, le 26 décembre 2016, le Conseil de sécurité adopte, sans que les États-Unis n'y opposent – pour la première fois depuis 1979 – leur veto, une résolution condamnant la colonisation des territoires palestiniens par Israël.

Cet événement a ulcéré Benjamin Netanyahou et son gouvernement d'extrême droite qui, au mépris de toutes les conventions et résolutions internationales, a pour stratégie d'empêcher de fait la solution à deux États par la poursuite de l'implantation et l'occupation coloniales israéliennes en Palestine.

L'Administration Obama dont le revirement a surpris tout le monde avait pourtant accordé, en septembre dernier, l'aide militaire la plus élevée dans l'histoire du soutien militaire états-unien à Israël et «le plus important engagement d'assistance militaire bilatérale dans (toute) l'histoire des États-Unis»: 38 milliards de dollars pour 10 ans (2019-2028). Suivi des propos tenus par John Kerry réaffirmant que la solution à deux Etats était le seul véritable chemin d'une paix juste et durable, ce vote a déchaîné l'ire du gouvernement colonial israélien.

Il peut paraître paradoxal qu'un gouvernement qui cultive déjà l'impunité éprouve le besoin d'annoncer en réaction à ce vote que son pays «ne se conformerait pas à la Résolution 2334». C'est  qu'une résolution onusienne est, même quand elle n'est pas appliquée, de la plus haute importance et qu'elle entraîne la responsabilité de tous, celle qu'elle vise comme celle de ceux qui l'adoptent.

En accusant l'ONU de «paralysie» c'est en fait le caractère multilatéral des relations internationales et du cadre de prévention et de résolution des conflits que d'aucuns contestent, visant, sans le dire, un retour en arrière: «laissons les grandes puissances mener le jeu dans les conditions qu'elles se choisissent elles-mêmes». Si nous laissions faire, ce ne serait pas simplement l'abandon d'une institution mais une régression de civilisation par l'abandon conjoint de l'exigence de multilatéralisme et du droit international.
Il est vrai comme en appelle son nouveau Secrétaire général que l'ONU a besoin d'une profonde évolution : d'abord pour s'émanciper de la pression du secteur privé et du lobbying que le «Pacte mondial» de Koffi Annan a introduit comme le loup dans la bergerie dans les années 2000, et pour reprendre la main sur les enjeux économiques que se sont réservées sans contrôle politique démocratique les institutions financières internationales (Bretton Woods). L'aide humanitaire de l'ONU est ruinée: quand il lui fallait 20 milliards de dollars pour honorer sa mission d'aide alimentaire auprès des réfugiés en 2015, elle n'en disposait que de 7,15 milliards et devenait incapable de subvenir aux besoins des populations des camps installés en Jordanie et au Liban.

L'ONU a également besoin de s'extraire des logiques de puissances et de guerre, chaque Etat membre doit compter pour un et la velléité des puissances militaires bridée; ce ne sera sans doute pas en supprimant le droit de veto mais en redéfinissant ses contours que l'on y parviendra. Enfin, la lutte contre les inégalités et injustices sociales et économiques et la bataille solidaire contre le dérèglement climatique, imposant la définition de nouveaux modes de développement et de production, doivent être les priorités permanentes de l'ONU et de son Conseil de sécurité pour assurer sa mission initiale essentielle de prévention des conflits. Sans doute les peuples et nations du monde n'en ont jamais eu autant besoin à l'heure des profonds bouleversements que nous traversons et ce serait ainsi répondre à l'appel d'Antonio Guterres à faire, enfin, «de la paix notre priorité absolue».

Lydia Samarbakhsh
responsable des relations internationales
article paru dans Communistes du 11 janvier 2017