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Il est temps de commencer à planifier l’unité irlandaise (Intervention de Declan Kearney, secrétaire général du Sinn Féin, Paris le 24 septembre 2016)

Parallèlement à l’impact du soulèvement de Pâques, les morts des grévistes de la faim furent un grand tournant dans la plus récente phase de lutte politique pour atteindre la démocratie nationale et la réunification irlandaises.

La grève de la faim de 1981 a convaincu de nouvelles générations d’activistes politiques de rejoindre l’IRA, ainsi que le Sinn Féin, qui émergeait en tant que parti majeur dans l’Irlande moderne. Aujourd’hui, le projet stratégique du Sinn Féin est de construire une Irlande des Egaux, une République socialiste, dans laquelle tous les citoyens sont traités avec égalité, dignité et justice. Toutefois, le prérequis à l’atteinte de l’objectif républicain final d’une Irlande des Egaux de garantir l’indépendance nationale et la réunification territoriale au sein d’une démocratie représentative, ainsi qu'un processus de réconciliation et de guérison envers l'héritage de la politique britannique en Irlande, et du conflit politique, jette une longue ombre sur le présent.

La partition de l’Irlande demeure la principale contradiction au cœur des politiques et de la société irlandaises. Elle polarise et perpétue des divisions sociétales et communautaires.

La partition enracine l’hégémonie des forces conservatrices dans les Etats du Sud et du Nord, et facilite l’influence antidémocratique persistante de l’Etat britannique dans les affaires irlandaises. L’existence d’un Etat au Nord est toujours contestée en raison de la juridiction de l’Etat britannique et des violations de la démocratie nationale irlandaise qui en résultent.

Un élément essentiel pour l’émergence réussie du processus de paix a été le rôle stratégique positif de l’influence internationale. Cela a conduit à ce qu’aujourd’hui la paix et les processus politiques irlandais sont les projets les plus importants en Irlande. Il y a encore beaucoup à faire pour les deux.

Un contexte politique entièrement nouveau a été créé basé sur le partage du pouvoir politique à travers des institutions gouvernementales régionales sur mesure dans le Nord de l’Irlande entre partisans du Royaume-Uni et Républicains sous les auspices de l’Accord du vendredi Saint (Good Friday Agreement, GFA) signé en 1998.Sa signification résidait dans le fait que la reconnaissance du statu quo n’était pas une option et que construire le futur dépendrait de la gestion du changement à travers des compromis démocratiques et un accord. La souveraineté du parlement Britannique sur la réunification du territoire national a été retirée. À l'avenir, elle devra être déterminée au moyen de sondages sur les frontières, et de referendums sur l'unité irlandaise au Nord et au Sud, requérant une majorité pro-unité dans les deux Etats.

Rien ne saurait rester comme avant.

Depuis le début, le syndicalisme politique n'a pas réussi à soutenir inconditionnellement ce cadre. Et depuis lors, des sections importantes de cette circonscription électorale sont restées profondément hostiles à un partage du pouvoir et un gouvernement de partenariat comme une condition du Good Friday Agreement, avec les républicains et les nationalistes - notamment le Sinn Féin.

L'effet de cette profonde résistance négative au changement a été de ralentir et entraver la transformation démocratique du Nord commencée avec le processus de paix. Cela a d’autant été exacerbé par l’échec des deux gouvernements britannique et irlandais à remplir toutes leurs obligations aux termes du GFA, et d'autres accords résultant de périodes successives de négociations.

Ainsi, alors que le changement social politique fondamental est devenu irréversible et que la guerre a pris fin, l'absence d'une dynamique positive cohérente et l'existence d'une résistance négative au changement, maintiennent les processus de paix et politiques dans un état fragilité permanente.

Pendant cette période, la politique du gouvernement britannique a endommagé le processus politique dans le Nord. Les mêmes puissantes institutions de la sécurité et de l’armée britannique qui conduisaient la «sale guerre» de la Grande-Bretagne en Irlande exercent encore aujourd’hui une énorme influence sur la politique de l'Etat britannique. Ils ne veulent pas le progrès.

Ceux qui ont toujours été hostiles au processus de paix au sein des services du Ministère de défense et de sécurité Britanniques à Whitehall sont encore politiquement et psychologiquement en guerre avec la direction du Sinn Féin.

La leçon stratégique des six dernières années dans le Nord est que le processus de paix en Irlande ne peut pas être tenu pour acquis. Les gouvernements britannique et irlandais doivent prendre leurs responsabilités à la fois à l'égard du processus de paix et du processus politique, sur une base juste et équitable, afin d'éviter le développement de graves problèmes politiques.

Le gouvernement britannique n'a pas reconnu les circonstances économiques et sociales particulières du Nord. Il a continué à nier l'indépendance financière aux institutions politiques régionales et a refusé de mettre fin à ses politiques négatives d'austérité économique. Il a refusé de reconnaître son propre rôle dans le conflit politique en Irlande et d’accepter sa responsabilité d'aider à faire face au passé. Ces facteurs sont tous des obstacles au plein développement du processus de paix et au processus politique. La conduite du gouvernement Britannique dans les domaines politique et économique envers le Nord doit changer afin de permettre un progrès politique durable.

Ces dernières années, il y a eu des bouleversements sans précédent dans la politique irlandaise, au Nord et au Sud. L'incapacité du principal parti conservateur, Fine Gael, dans le sud de l'Irlande pour former une administration viable pour plus de soixante jours après la dernière élection générale démontre la fragmentation et le réalignement du système politique. Il est trop tôt pour dire si la tendance actuelle représente un réalignement politique durable, mais le statu quo est installé à travers l'île, et le potentiel existe pour qu’un plus grand changement puisse se faire.

Ce contexte découle des retombées gépolitiques et économiques de la crise financière internationale de 2008 et des courants idéologiques et politiques qui ont trouvé à s’exprimer dans la société irlandaise et à travers toute l'Europe occidentale et les Amériques.

De grandes différences idéologiques existent sur la façon dont la société irlandaise devrait s'organiser. Il y a une polarisation croissante entre les intérêts des droits des citoyens et de la communauté, et ceux des banques internationales et du capital.

Les politiques d’austérité mises en œuvre par l'État du Sud en raison de l’accord de «sauvetage» de la Troïka, ainsi que les mesures d'austérité imposées au gouvernement régional du Nord par la réduction de ses dépenses publiques par le gouvernement conservateur britannique, ont provoqué une crise d'austérité et de grandes difficultés économiques Nord et Sud.

Le sujet de l’austérité n’est pas la reprise économique. Il s’agit entièrement d’idéologie, de contrôle politique et d’enracinement de l’idéologie conservatrice. Voilà pourquoi elle est synonyme dans l'hémisphère Nord d’'autoritarisme politique, de déréglementation élargie et de recul de l'État.

C’est un agenda anti-démocratique en soi. Et ce sont les raisons pour lesquelles l’austérité a eu une influence omniprésente au sein de l'Union européenne. Et c’est pourquoi l'UE a joué un rôle vindicatif contre le gouvernement grec en 2015.

Dans le contexte irlandais, le Sinn Féin a été le moteur du réalignement politique et social en Irlande et la principale force d'opposition à l'austérité, au Nord comme au Sud.

En tant que fier parti internationaliste, nous érigeons notre objectif d'une Irlande des Egaux au sein d’une vision d'une Europe de Egaux.

En juin de cette année, le référendum sur l'adhésion de la Grande-Bretagne à l'UE, a une fois de plus radicalement changé le paysage politique et économique en Irlande.

La majorité des électeurs dans le Nord de l'Irlande de tous horizons politiques (et aussi en Ecosse) ont voté pour rester en Europe. Malgré ce résultat, la volonté démocratique exprimée par le Nord est maintenant annulée et renversée par un vote qui émane de l’Angleterre. Cela est inacceptable pour le Sinn Féin et la plus grande majorité de l'opinion dans le Nord et le Sud de l'Irlande. En réalité, ce référendum a été l’occasion d’un affrontement entre factions britanniques de droite conservatrice, alimenté par la xenophobie.

Tandis que le Sinn Féin a une analyse critique de l'UE, nous croyons que les réformes nécessaires ne peuvent être effectuées au sein de ses structures. D’un point de vue stratégique, il vaut mieux que l’Irlande soit à l’intérieur, plutôt qu'à l'extérieu, de l'avenir économique et financier de l’UE.

Le futur économique et financier des citoyens du Nord est devenu l'une des énormes incertitudes.

Il y a beaucoup de répercussions sur l'économie de toute l’île. 200 000 emplois en Irlande dépendent directement et indirectement des centaines de millions d'euros générés par les échanges commerciaux entre le Nord et le Sud chaque semaine. 3,5 milliards d’euros de financements et investissements européens ont été alloués au Nord pour la période 2014 à 2020. Environ 10% du PIB de l'économie régionale du Nord dépend de sa place au sein de l’UE. Le Brexit menace tout cela et plus encore. Le Brexit est le prix de la partition continue de l'Irlande.

L'impératif politique pour les institutions politiques du Nord doit être de se lever pour la démocratie locale et contre l'austérité. Le gouvernement de coalition régionale et le Parlement doivent respecter et soutenir la décision démocratique des électeurs du gouvernement nord-irlandais. Le gouvernement irlandais devrait convoquer un «Forum de toute l'Irlande» représentatif des partis politiques et de la société civile de l'île afin de se mettre d'accord et de présenter des propositions concrètes pour sécuriser la place du Nord de l'Irlande au sein de l’UE. Il est inacceptable que le nord de l'Irlande soit retiré de l'UE tandis que le reste de l'Irlande y reste. Le Brexit a une fois de plus mis en évidence les contradictions portées par la partition au sein de la politique irlandaise. Cela remet en question directement la démocratie et les intérêts nationaux irlandais.

Cependant, cela a également engendré une discussion politique et civique sans précédent en Irlande à propos de l’avenir.

Il a provoqué une importante réévaluation de l'avenir économique et politique du Nord; de la relation avec l'Etat britannique; et des dommages causés avec un le sud de l’Irlande restant au sein de l'UE tandis que le Nord en est exclus. Un danger inhérent à ces incertitudes existe qui risque de créer une nouvelle instabilité politique pour le processus de paix. Le Sinn Féin travaillera stratégiquement et politiquement avec d'autres parti afin d’éviter que cela se produise.

Nous croyons que ces nouveaux défis doivent être transformés en une conversation nationale positive sur la façon dont l'avenir constitutionnel, politique et économique de l'île peut être repensé et réécrit. Un réel potentiel a émergé pour permettre une nouvelle conversation populaire et inclusive en Irlande à propos de notre avenir commun; de la manière dont les relations peuvent être développées pour le plus grand bien; à propos de nouvelles dispositions constitutionnelles sur l'île, et d’une nouvelle relation entre l'Irlande et la Grande-Bretagne; ainsi que d'une nouvelle relation de confiance, ouverte sur l'extérieur, entre l'île d'Irlande, l'Europe, et la communauté internationale.

Le futur de l’Irlande, Nord et Sud, doit pouvoir évoluer dans le contexte des nouvelles relations internationales démocratiques progressistes fondées sur la solidarité sociale et une coopération démocratique mutuelle.

Le Brexit a tout changé et met au défi toutes les anciennes hypothèses sur le précédent constitutionnel, politique et économique du statu quo dans le Nord et le Sud de l'Irlande. Dans un contexte européen et mondial qui évolue rapidement, la décision du Brexit expose la contradiction de la partition, et la stupidité d’une situation qui verrait une partie de l'Irlande rester dans l'UE tandis qu’une autre partie de l'île serait maintenue en dehors de ce cadre politique et économique.

Le Sinn Féin estime que ce contexte représente une opportunité stratégique pour maximiser l'argument démocratique en faveur de la fin de la partition de l'Irlande, et en faveur de l'unité irlandaise, tant au niveau national qu’international.

Le processus de paix a été facilité et soutenu par la bonne volonté, le soutien et la diplomatie internationaux. Une fois de plus, la communauté internationale tient un rôle essentiel à jouer pour continuer à consolider le processus de paix et encourager la réconciliation et la guérison. Cependant, une nouvelle phase de changement politique est arrivée et l'influence politique stratégique significative de la communauté internationale devrait à présent aider à la planification d’une transition vers une nouvelle Irlande, acceptée et unie.

Il est temps de mettre fin à la partition de l'Irlande et de préparer la transition vers l'unité irlandaise. Un appui international positif pour encourager, convaincre et soutenir cet objectif est désormais nécessaire.

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Il est temps de commencer à planifier l’unité irlandaise (Intervention de Declan Kearney, secrétaire général du Sinn Féin, Paris le 24 septembre 2016)

le 26 September 2016

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