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En Amérique latine l'empire est toujours à l'offensive

La force acquise par la gauche en Amérique latine ces dernières années a rendu difficile pour les classes dominantes de recourir aux coups d’Etat militaires traditionnels. Les quelques tentatives organisées avec le soutien des Etats-Unis ont échoué : en 2002 contre Hugo Chavez (Venezuela), en 2007 contre Evo Morales (Bolivie) et en 2010 contre Rafael Correa (Equateur).

Face aux progrès de la gauche, les Etats-Unis ont changé d'approche. Barack Obama a avancé l'idée d'un « nouveau départ » dans les relations  avec les pays du continent américain. Sa secrétaire d’État, Hillary Clinton, a visité dix-sept pays et John Kerry, qui  lui a succédé en 2012 a annoncé la « fin de l'ère Monroe ». Les sommets où des chefs d’Etat venaient pour faire les louanges du néolibéralisme sont devenus des lieux de débat où l'absence de déclarations communes reflète des désaccords de fond.

Pourtant, Washington n'a jamais renoncé à sa suprématie en Amérique latine. La contre-offensive a été lancée par Hillary Clinton avec la tentative de remettre sur pied la vieille organisation des Etats américains (OEA) affaiblie par la création des nouvelles instances d'intégration régionale (UNASUR, CELAC, ALBA). En 2010, lors de l'assemblée générale de l'OEA de Lima, la secrétaire d’Etat a proposé comme objectif prioritaire de l'organisation le « renforcement des institutions démocratiques ». La charte démocratique de l'OEA, conçue à l'origine comme un instrument pour imposer les critères de Washington, devait être appliquée aux gouvernements jugés anti démocratiques. Elle a proposé la création d'un commissariat pour la démocratie qui devait redéfinir le concept d’« altération anti constitutionnelle ». Pour Washington il ne suffisait plus de gagner une élection pour être considéré comme légitime. Ainsi, les Hugo Chavez, Evo Morales et autres pourraient être disqualifiés par l'OEA et dans l’incapacité d’exercer leur mandat. Washington a depuis imaginé une nouvelle forme de coup d’Etat « légal » qui consiste à créer toutes les conditions pour délégitimer des gouvernements qualifiés de « populistes »,  faute de pouvoir utiliser le terme de « dictatures ».

Honduras, premier coup d’État « légal »

En 2009, un an avant le sommet de Lima, le président du Honduras, Manuel Zelaya, est destitué par le parlement de son pays avec le soutien actif de l'ambassade états-unienne. Il avait proposé la tenue d’un référendum dans le but de modifier la Constitution en introduisant des mécanismes de démocratie participative. Manuel Zelaya s'était rapproché du Venezuela et avait adhéré à l'Alliance bolivarienne des peuples d'Amérique (ALBA). C’est le premier  « coup d’Etat légal ».

En 2012, la même méthode est employée contre le président paraguayen, Fernando Lugo. Accusé d’être responsable d'un massacre commis contre des paysans après un affrontement avec les forces de l'ordre, il est destitué par le Parlement.

Brésil, contre-attaque des partis de la gauche et des syndicats rassemblés

Le coup d’Etat monté contre la présidente brésilienne Dilma Rousseff suit le même modèle : un groupe de parlementaires de droite trouve un prétexte pour faire tomber la présidente, on commence par semer le doute et ainsi on l’affaiblit avant de la soumettre à un procès politique sur la base d'accusations sans fondement.

Les Etats-Unis, qui se sont empressés de reconnaître le gouvernement putschiste, ont certainement joué un rôle. Des écoutes effectuées par la NSA filtrées par la presse ont  mis en évidence l’existence de relations troubles entre la compagnie pétrolière Petrobras et des politiciens de tous bords. On a essayé de mêler Dilma Rousseff à ces affaires, sans succès.

Pour écarter toute possibilité d'un retour de la gauche à la présidence, c’est l'ex-président Luiz Inacio da Silva (Lula), possible candidat à la présidentielle de 2018, qui est maintenant visé. La manière dont l'accusation a été lancée –  il aurait reçu en cadeau un appartement contre des faveurs au profit d'une entreprise de construction –, montre une claire intention politique. Sans la moindre preuve pour étayer ses dires et sur la base de simples suppositions, le juge a qualifié l'ex-président de « commandant suprême de la corruption ».

Michel Temer, le président intérimaire, a mis en œuvre sans tarder les politiques souhaitées par le patronat : flexibilisation du travail avec la primauté donnée au contrat sur la loi,  « liberté » donnée au travailleur de négocier individuellement son salaire,  privatisations et mesures d’austérité…La plus significative est sans doute celle qui prévoit un amendement constitutionnel pour rendre possible le gel des dépenses publiques en termes réels pendant vingt ans. L’ensemble des politiques publiques est ainsi mis en danger : éducation, sécurité sociale, retraite, santé.

Le Parti des travailleurs, le Parti communiste du Brésil et d’autres organisations de  gauche, des syndicats et le Mouvement des sans-terre s’organisent pour riposter. Des manifestations massives ont déjà eu lieu à Sao Paulo et à Rio de Janeiro et des grèves se préparent pour les semaines à venir. L’échéance des élections municipales du mois d'octobre sera une épreuve difficile. Les coalitions formées dans le passé avec des partis aujourd'hui passés du côté des putschistes sont remises en cause.

Venezuela, la lutte continue dans un contexte difficile

Au Venezuela, depuis les élections présidentielles de 2013, la droite cherche à délégitimer le président Nicolas Maduro avec le soutien du secrétaire exécutif de l'OEA. Il est accusé d’avoir violé les droits de l'opposition après que l'un de ses dirigeants a été condamné pour avoir participé à l'organisation de manifestations violentes qui ont fait plus d'une quarantaine de morts. Majoritaire à l'Assemblée nationale, la droite reproche au gouvernement de ne pas faire le nécessaire pour qu'un référendum de révocation du  président soit organisé cette année.

L'état d'urgence économique a été décrété par le président Maduro pour permettre la relance. Il s'agit de dépasser le modèle de la rente pétrolière qui embourbe le Venezuela dans la dépendance vis-à-vis des marchés internationaux qui imposent leurs prix. L'objectif est de créer les bases d'une production de biens industriels et agricoles. Un super ministère de l’Economie productive a été institué ainsi qu'un nouveau ministère du Commerce extérieur et des investissements, qui travaille pour attirer des capitaux frais. Pour faire face aux pénuries de produits alimentaires et de première nécessité, une « grande mission », sous la tutelle du ministre de la Défense, est chargée d’assurer l'approvisionnement en aliments et la protection des acquis sociaux. Des comités locaux pour l'approvisionnement et la production ont aussi été constitués avec la participation des militants de la gauche vénézuélienne pour faire face aux spéculateurs et aux mafias qui s'accaparent et trafiquent avec des produits subventionnés. La tâche est difficile dans un contexte marqué par les difficultés économiques et par l'affrontement, y compris dans les rues, avec la droite.

Argentine, les ravages des politiques néolibérales

En Argentine, le président-patron, Mauricio Macri, a mis en place des politiques néolibérales avec des résultats terribles : 120 000 emplois ont été détruits en quelques mois, presque 40 000 fonctionnaires, accusés de proximité avec le gouvernement de Cristina Kirchner, ont été licenciés, l'inflation atteint 40% et les salaires sont à la baisse. Les syndicats, jusqu'ici divisés, ont riposté en annonçant leur réunification et en mobilisant des centaines de milliers de personnes dans tout le pays. Là aussi, la droite essaye d’éviter un retour de Cristina Fernandez de Kirchner à la présidence avec des accusations qui visent à la discréditer et, si possible, à la mettre en prison.

La droite se réorganise avec l'aide active des Etats-Unis et marque des points. Les peuples de l'Amérique latine et les forces de gauche et progressistes sont confrontés à une nouvelle phase dans leur lutte pour la transformation de leurs sociétés.

Obey Ament
membre de la commission des relations internationales

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En Amérique latine l'empire est toujours à l'offensive

le 23 September 2016

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