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Sommet UE-Turquie : l’accord de la honte

En octobre 2015, à l'issue d'une réunion de la Commission européenne, Jean Claude Juncker, son président, souhaitait que "l'Europe soit recherchée comme une terre de refuge et que l'accueil de 160 000 réfugiés soit une première historique est un motif de fierté".

 

Déjà, à l'époque, cette déclaration était particulièrement déplacée, car, depuis des mois et des années, les drames s'accumulaient sur la route des migrants venant d'Afrique et du Proche-Orient, par la Méditerranée.

 

Mais aujourd'hui, elle résonne comme un terrible désaveu devant les échecs, les capitulations de l'UE, son incapacité à remplir ses devoirs de solidarité et à appliquer ses propres décisions.

 

Six mois après, l'accord signé au Sommet UE-Turquie du 7 mars ne peut que provoquer un sentiment de profonde honte.

 

En effet, l'accord entre le premier ministre turc Davitoglu et les chefs d'États ou de gouvernements de l'UE vise à renvoyer en Turquie tous les migrants, syriens compris, aujourd'hui en Grèce, venus au péril de leur vie, chercher un refuge en Europe.

 

En contrepartie, l'UE s'engage à faciliter l'obtention de visas de tous les États membres aux citoyens turcs, d'accélérer le versement des 3 milliards déjà promis, d'en ajouter 3 milliards supplémentaires et de favoriser la reprise des négociations pour l'adhésion de la Turquie à l'UE.

 

De son côté, la Turquie s'engagerait, outre à reprendre les réfugiés expulsés d'Europe, à organiser, selon le principe de "un pour un", le passage vers la Grèce de Syriens, uniquement dans le cadre de mesures contrôlées et sécurisées, où l'OTAN jouerait un rôle.

 

A l'avenir, même si l'accord ne l'indique pas, le rapatriement des autres réfugiés - Afghans, Erythréens, Soudanais, Irakiens ... - non admis en Europe, serait mis en place en direction de leurs pays d'origine. Le premier ministre turc déclarait être en discussion sur ce sujet avec ces pays.

 

Ainsi, l'UE et les États membres abandonnent à la Turquie la responsabilité d'assurer le contrôle de leurs propres frontières et de gérer l'accueil des réfugiés qui vont être chassés de Grèce.

 

Or, ces réfugiés veulent aller en Europe, pas en Turquie, et le droit international exige que leur choix soit respecté.

 

Enfin, le passage - sous contrôle - Turquie-Europe restera aléatoire, lié au bon vouloir d'accueil des pays européens, déjà très réticents. Les 1,2 millions de migrants en  2015 arrivés sur le sol européen ne représentent pourtant que 0,3% de la population européenne. 

 

L'Europe se transforme peu à peu en bunker, sourd et aveugle devant la détresse des réfugiés.

 

Pire, l'UE organise leur expulsion, leur refoulement avec l'aide de la Turquie, niant leur droit à choisir un pays d'accueil où déposer leur demande, la Grèce étant dans l'impossibilité de les accueillir malgré l'extraordinaire élan de solidarité de son peuple.

 

Que la Turquie ait pu ainsi être investie, grâce à un chantage politique et financier, du rôle de partenaire indispensable auprès de l'UE ne peut que provoquer colère et indignation. Le régime autoritaire turc se livre à une véritable chasse aux démocrates, aux journalistes indépendants ; il mène sur son territoire une guerre sans merci contre les Kurdes ; intervient en Syrie contre les Kurdes syriens qui combattent les groupes djihadistes, groupes armés que la Turquie n'a cessé depuis des années d'utiliser pour ses intérêts de puissance régionale.

 

Les dirigeants européens ont-ils mesuré les conséquences de leurs décisions et l'image qu'ils donnent de marchandage, de trafics sur la détresse des réfugiés, avec un pays qui bafoue toutes les valeurs démocratiques que l'UE est censée représenter ?

 

Pourtant, l'UE a les moyens de répondre à ses devoirs d'accueil et d'asile, comme ne cessent de le rappeler l'ONU et son agence pour les réfugiés, le HCR, les grandes associations des droits humains et de défense des migrants, des élus, des citoyens de tous les pays d'Europe, attachés aux valeurs de solidarité, d'entraide et de partage.

 

Ainsi, l'UE pourrait, avec les États membres qui ont donné leur accord, accélérer l'installation des 160 000 réfugiés, respectant l'engagement pris en octobre et dont le nombre aujourd'hui ne s'élève qu'à un millier !

 

Que l'UE organise, avec les moyens importants qui sont les siens, non le refoulement de populations, mais l'ouverture entre la Turquie et la Grèce de voies légales sécurisées de passage pour les réfugiés, qui rendraient aussitôt caduc le recours aux passeurs et trafiquants.

 

Mais l'UE et les États membres ont aussi des responsabilités dans les tragédies qui frappent aujourd'hui les peuples du Proche-Orient, les poussant sur les routes de l'exil. Le conflit en Syrie entre dans sa 5e année. L'UE doit peser de tout son poids pour que le projet de transition politique se mette en place rapidement, pour arriver à un cessez-le-feu durable et à l'arrêt des hostilités dans les luttes inter-syriennes. L'UE s'est trop longtemps alignée sur les positions de ses amis du Golfe, de l'Arabie saoudite, du Qatar... de la Turquie, encouragée dans cette voie par la France qui a multiplié les surenchères politiques et militaires. Nous en mesurons aujourd'hui les conséquences désastreuses : cela n'a que trop duré.

 

L'UE et les États membres se doivent d'apporter un soutien sans équivoque à la feuille de route, fixée par le Conseil de sécurité de l'ONU et à sa mise en oeuvre.

 

Et la France ?

 

Le président Hollande a salué, quant à lui, cet accord "comme un acte très important de la Turquie pour réadmettre les réfugiés et les migrants qui l'ont quittée de façon irrégulière vers la Grèce".

 

Cette déclaration est dans la droite ligne de la politique française depuis des années. Les autorités françaises sont concentrées non sur comment accueillir mieux et plus ces familles en détresse, mais sur comment faire pour en limiter le nombre, sans égards pour ce qu'elles ont vécu et leurs attentes.

 

Cette froideur devant la tragédie de la guerre, de la violence, de la pauvreté est inacceptable.

 

D'autant que notre pays n'a connu en 2015 qu'une augmentation limitée de réfugiés, 20% sur 2014, avec 4600 Syriens sur les 362 000 arrivés en Europe .... le fantasme de "submersion" alimenté par l'extrême droite aurait-il frappé l'esprit des dirigeants français ?

 

Le gouvernement français et le président Hollande ne peuvent accepter cet « accord de la honte" signé lundi, concocté par la chancelière Merkel et le premier ministre turc. Notre pays doit faire entendre sa voix, ses valeurs, ses principes en matière de défense des réfugiés et des migrants, en rappelant la vocation de terre d'asile de la France.

 

Déjà contraint de jouer les garde-frontières de la Grande-Bretagne à Calais, notre pays va-t-il maintenant participer à des expulsions massives de réfugiés honteusement qualifiés "d'irréguliers" de la Grèce vers la Turquie?

 

Il doit au contraire proposer que ces populations, aujourd'hui bloquées en Grèce du fait des frontières fermées dans les Balkans, puissent être accueillies dignement dans les pays qui ont laissé la porte ouverte à la solidarité.

 

Les capacités d'accueil existent dans notre pays dans les villes et les villages. Des actions solidaires d'associations, de citoyens sont aujourd'hui inutilisées : 15 000 réfugiés étaient attendus en 2015, seules quelques centaines ont été relogées.

 

Des engagements ont été pris d'aides financières en faveur des collectivités accueillantes. Au lieu de jouer la stigmatisation, la division entre réfugiés et migrants, la France doit leur tendre la main et faire la preuve qu'elle reste ce grand pays de fraternité et de solidarité qui lui valent le respect et le regard amical et chaleureux de bien des pays dans le monde.

 

A la prochaine réunion du Sommet européen, la France doit exiger le rejet de cet accord et enfin, accueillir dignement ces hommes, ces femmes et ces enfants abandonnés.