Accueil
 
 
 
 

UE / Turquie: le cynisme contre les peuples

Les relations entre l’Europe et la Turquie sont depuis deux siècles marquées par un sentiment ambivalent d’imitation et de rejet. Il n’en demeure pas moins que la construction européenne et la perspective d’une éventuelle adhésion ont constitué, surtout avant 2004, un puissant levier de démocratisation de la Turquie.

 

Dès son arrivée au pouvoir, l’AKP présentait l’entrée dans l’Union européenne comme une priorité. R.T. Erdoğan s’est appuyé notamment sur les exigences de l’UE pour briser les velléités de retour au pouvoir des militaires.
Alors que débutent les négociations d’adhésion en 2005, de nombreux pays européens expriment leur hostilité à ce processus mettant en avant les atteintes aux droits de l’Homme et le non-respect des minorités ou bien une conception identitaire de cette entité développant des prévenances religieuses et culturelles ainsi que la menace d’une intensification des mouvements migratoires. Inversement l’AKP joue sur le ressentiment des turcs qui vivent comme une humiliation ce rejet ainsi que la stigmatisation de l’islam. Par ailleurs, R.T. Erdoğan n’attend plus rien de la démocratisation pour asseoir son hégémonie. La fermeture des négociations, l’absence de règlement de la question chypriote et la crise économique dans l’UE ont refroidi les ardeurs en raison du recul de l’attractivité de cet espace. Même si le projet européen reste important, ne serait-ce qu’en termes de prestige, l’adhésion pleine et entière ne constituait plus un impératif pour l’AKP qui souhaitait désormais déployer son influence vers l’Asie centrale et le Moyen-Orient. Cependant la première zone n’a jamais répondu aux attentes alors que la seconde connaissait une situation explosive.
Ces déconvenues s’ajoutèrent aux échecs de la diplomatie turque accroissant son isolement. Pour une partie des pays musulmans, la Turquie est perçue comme un pays trop laïc alors que d’autres s’inquiètent de sa proximité avec les Frères Musulmans. Par ailleurs, elle paie un lourd tribut pour s’être engagée aux côtés de l’arc sunnite face à l’arc chiite. Dans ce contexte, du fait de son appartenance à l’Otan, la Turquie regarde à nouveau vers l’UE et en dépit des rodomontades de RT.  Erdoğan elle cherche à ménager ces alliances. Fondamentalement l’adhésion reste un objectif car elle n’entrevoit aucune substitution à l’UE en tant que projet de modernisation.

Maintien des migrants en Turquie contre relance des négociations d'adhésion à l'UE

La crise des réfugiés a eu raison des réticences européennes qu’inspire le régime de RT. Erdoğan et a entraîné l’UE dans un soutien sans faille au pouvoir turc. Un accord a été signé pour juguler l’afflux de migrants en provenance de Turquie afin qu’elle les garde sur son territoire mais aussi pour inciter ce pays à protéger ses côtes et à intensifier la lutte contre les passeurs. En échange, l’UE s’est engagée à verser trois milliards d’euros pour des projets d’intégration et l’équipement des garde-côtes, à faciliter l’obtention de visas pour les ressortissants turcs dans l’espace Schengen et à relancer les négociations d’adhésion. Il s’agit d’un marché de dupes car Ankara est incapable de répondre aux exigences cyniques de l’Europe. La Turquie n’accueille que 15 % des réfugiés dans des camps alors que les autres se débrouillent seuls, sans statut, contrevenant ainsi à la convention de Genève. Elle laisse faire tous les trafics mafieux qui rapportent selon une estimation 600 millions d’euros par an et dont l’ouvrage d’Hakan Günday, Encore, nous permet de mesurer l’atrocité. La panique des dirigeants européens est à la mesure de leur indifférence devant les atteintes aux droits de l’Homme, à la répression et à la violence contre les Kurdes. La commission européenne n’a exprimé aucune émotion face aux poursuites engagées par le pouvoir turc contre la vice-présidente du Parti de la gauche européenne, Maïté Mota, pour insulte au chef de l’État de la Turquie. Pour ces raisons rien ne justifie une telle accélération du processus d’adhésion d’autant que la reconnaissance de la république de Chypre par la Turquie reste en suspens.
Ces considérations en disent long sur la conception de la solidarité qui anime les dirigeants européens. Cette attitude de l’UE conforte RT. Erdoğan dans l’établissement d’un régime tyrannique dans lequel le terrorisme d’Etat et le crime politique deviennent désormais la règle. Aujourd’hui le discrédit de l’UE est immense auprès des forces démocratiques de toute la région.

Pascal Torre
Membre de la commission des relations internationales du PCF
article paru dans le dossier de la LRI janvier-février 2016

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.

 

UE / Turquie: le cynisme contre les peuples

le 19 February 2016

    A voir aussi