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Corruption, mondialisation capitaliste et nouvelle citoyenneté

Je pense que si l’on m’a demandé cette intervention à l’atelier « Corruption, mondialisation capitaliste et nouvelle citoyenneté », ce n’est pas parce que j’habite un département, le Var, où le président du Conseil départemental, membre du Parti des « Républicains », Marc Giraud, vient d’être mis en examen pour « détournement de fonds publics par dépositaire ».

Cela paraît d’autant moins probable que le sentiment d’une corruption généralisée de la classe politique française est assez partagé géographiquement et c’est l’un des grands problèmes auxquels les forces alternatives sont confrontées.

Ainsi, une majorité de Français (55%) estimait en 2013 selon un sondage CSA que la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus. On comprendra dès lors l’importance qu’il y a à montrer le lien entre la corruption comme système et le capitalisme actuel, le capitalisme mondialisé et financiarisé. Car en effet, l’épidémie ne frappe pas que l’Hexagone, elle sévit dans toute l’Europe. On se souvient de la cascade de scandales impliquant Berlusconi en Italie, de l’affaire de fraude fiscale et de blanchiment d’argent qui a éclaboussé Mariano Rajoy, le premier ministre espagnol, et son parti, le PP, des différentes affaires dans lesquelles des parlementaires et d’anciens ministres britanniques ont perdu leur âme et leur poste. Le sinistre ministre des finances d’Angela Merkel, Wolfgang Schaüble, a dû démissionner en 2000 de la présidence de la CDU et de celle de son groupe parlementaire car il était l’un des dirigeants compromis dans le scandale dit des « caisses noires » de la CDU, un financement illégal et à grande échelle de ce parti par de grands industriels allemands. Au-delà de l’Europe, les régimes corrompus sont légion. La corruption sévit au Maghreb, en Afrique sub-saharienne, en Chine et maintenant, nous dit-on, au Brésil. Est-ce un trait de l’époque ?

Au cours de cette introduction, je ferai sept remarques.

 

1 - Première remarque. L'histoire nous révèle que la corruption, fille aînée de la fraude, s'épanouit, prospère, s'envole particulièrement dans les périodes de crise du capitalisme.

Ainsi Zola situe le roman « L’argent » peu de temps avant la fin du règne de Napoléon III, à un moment où l’empire est secoué par une crise économique et politique. Il y montre les ressorts et les artifices de la spéculation, de la quête de l’argent pour l’argent et de la corruption. En réalité, il s’inspire de l’affaire de l’Union générale en 1882, une vaste spéculation qui s’est conclue par un krach financier et qui est intervenue également alors que l’économie française était en pleine crise. Et effectivement, sous le capitalisme, le développement des marchés financiers et de la spéculation est toujours intervenu dans les périodes de crise économique et sociale et pas dans les périodes d’essor. A la Libération, la reconstruction de la France s’est effectuée grâce au concours de la banque de France et des banques nationalisées, la Bourse jouant alors un rôle très secondaire. « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille » pouvait encore déclarer de Gaulle en 1966.

 

2 – Je dirais en second lieu que corruption et cupidité ne sont pas des verrues sur le corps de la finance, elles sont aujourd’hui au coeur du système.

Les débuts de la révolution monétaire qui a vu le décrochement des monnaies par rapport à l'or en 1971, avec le dollar comme monnaie mondiale, et qui a permis d’accumuler d'énormes disponibilités financières ; les débuts de la révolution informationnelle avec les économies considérables de moyens par rapport à la valeur ajoutée produite, en prix, qu’elle permet, ont dégagé d'énormes disponibilités pour les prélèvements et les placements financiers. Dans mon livre « La finance au pas, ce qu’il faut savoir sur la finance pour mieux la combattre » j’explique l’origine et les ressorts de cette financiarisation des relations humaines. Mais en même temps, cette croissance financière des capitaux étouffe la croissance réelle et, dans ce contexte d’une activité languissante, d’une accumulation considérable de capitaux se disputant les opportunités et d’une surexploitation des travailleurs, on assiste à une lutte acharnée entre les groupes pour obtenir la rentabilité la plus élevée.

Par ailleurs, l'insuffisance de certaines productions par rapport à la montée des besoins populaires dans le domaine du logement, de l'énergie, des matières premières, de l'alimentation, servent de points d'appui à la spéculation, à la fraude et à la corruption. Tout est bon pour les capitalistes quand il s’agit de gagner des marchés, d’accaparer de nouvelles compétences, de modifier des réglementations à leur avantage, de « créer de la valeur pour les actionnaires » comme l’on dit dans les cercles d’initiés. On assiste à une exacerbation de la concurrence pour le profit et l’accumulation de capitaux qui renforce la tentation de corrompre.

Confrontés à la baisse de l’activité économique mondiale, les firmes multinationales poussent les feux de la croissance externe en procédant à des acquisitions. Pour y parvenir leurs états major utilisent toutes les possibilités dont ils disposent pour doper les cours boursiers, et ainsi accroître le pouvoir d’achat des actions du groupe dans la perspective de racheter à bon compte la cible choisie. Plus la valeur des actions de leur firme augmente, plus il leur sera facile d’acquérir et d’absorber le concurrent. En accompagnement de cette stratégie, les dirigeants obtiennent des actionnaires que leurs rémunérations soient en grande partie liées à l’accroissement de la rentabilité du groupe. C’est notamment le rôle assigné aux options, à la possibilité donnée au haut management d’acquérir à un prix réduit des actions de l’entreprise. C’est un mécanisme qui, comme le fait remarquer Michel Aglietta, je cite, « pousse à toutes les manipulations pouvant orienter favorablement et à court terme l’opinion des marchés financiers ».

Dans un autre ouvrage, antérieur celui-ci à la crise de 2008, « Dérives du capitalisme financier », Michel Aglietta et Antoine Rebérioux, indiquent que sous le capitalisme financier « plus les dispositifs de contrôle aux mains des actionnaires se multiplient, plus les dirigeants des entreprises exploitent aux fins de leur enrichissement personnel la dépendance des entreprises à l’égard des marchés financiers ». De fait, la fraude et la corruption ne relèvent pas seulement de comportements individuels, elles ont elles-mêmes un caractère systémique lié à la déréglementation et à la financiarisation généralisées.

François Morin, économiste de Toulouse et membre des « économistes atterrés », souligne dans son dernier ouvrage « L’hydre mondiale, l’oligopole bancaire » – je cite - que « c’est l’ensemble du financement de l’activité économique mondiale qui se trouve profondément perturbé par les pratiques frauduleuses : le commerce extérieur pour la manipulation des taux de change et le financement des investissements par la manipulation des taux d’intérêt, toutes faites en bandes organisées ».

L’affaire qui a éclaté récemment et qui est d’une portée considérable, celle de la manipulation des taux d’intérêts des prêts entre banques, ce que l’on appelle le marché interbancaire, un marché de milliers de milliards de dollars concernant le crédit à la consommation, les prêts immobiliers, les prêts étudiants ou encore les obligations à taux variables, est pleine d’enseignements.

Y sont impliquées un peu plus d’une quinzaine de grandes banques, des établissements prestigieux, à caractère systémique, comme Barclays, UBS, Deutsch Bank, Bank of America, JPMorgan et, pour la France, la Société générale et le Crédit agricole. Sans entrer dans les détails techniques, ces banques, se sont concertées pour fixer à la hausse ou à la baisse ces taux en fonction de leurs intérêts du moment. Elles y ont gagné des dizaines de milliards de dollars. On le voit, la prétendue loi du marché n’est rien d’autre que le marché de la loi des plus forts. Pour parvenir à leurs fins ces banques ont « arrosé » largement, versé des pots de vin à nombre de courtiers et d’intervenants financiers.

Une autre affaire vient d’éclater. Les plus grandes banques mondiales, notamment BNP Paribas, sont impliquées dans la manipulation des taux sur le marché des changes, un marché où transitent quotidiennement 5 300 milliards de dollars. Plusieurs autres enquêtes du même type sont engagées par la Commission européenne, sur les indices pétroliers, les produits dérivés. Mais pour quelques ententes frauduleuses mises à jour, combien restent dissimulées ? Selon un rapport de la Commission, la corruption coûterait quelque 120 milliards d’euros par an aux 28 pays de l’Union européenne.

Concernant la France, l’OCDE dans un rapport d’octobre 2014, s’étonne d’ailleurs qu’« aucune entreprise française n’ait à ce jour fait l’objet de condamnation définitive en France du chef de corruption transnationale, alors que des condamnations de ce chef ont été prononcées à l’étranger contre des sociétés françaises ».

Pour l’auteur de « La corruption des élites », Noël Pons, un ancien inspecteur des impôts, cette généralisation de la fraude et de la corruption est liée à « la constitution d’une féodalité de l’argent, du pouvoir politique et du savoir, directement liée à l’avènement d’une élite mondialisée ».

 

3 – En troisième lieu je considère que fraude et corruption ont aussi des causes anthroponomiques (au-delà de l'économie, le politique, le culturel, la famille, le social, …), liées à la crise du système du capitalisme dans toutes ses dimensions.

L’économiste et historien Paul Boccara, affirme avec pertinence que nous sommes confrontés à une crise qui n’est pas qu’économique. L’interconnexion des marchés, la rapidité d’action permise par la numérisation, mais aussi le relâchement ou l’abandon d’une maîtrise publique sur nombre de marchés, marchés financiers et monétaires, l’adaptation de la comptabilité à leurs exigences ont également contribué à permettre qu’ils dominent et régulent l’économie mondiale. Et là, on commence à entrer dans le champ politique. Ce sont des décisions politiques qui ont permis cela. Le projet de traité transatlantique dit Tafta pousse en ce sens, notamment avec la généralisation des tribunaux arbitraux, le risque d’une harmonisation par le bas des normes et règles entre les deux puissances transatlantiques, la possibilité offerte aux multinationales et investisseurs étrangers de porter plainte contre les gouvernements devant des tribunaux internationaux et de les poursuivre pour des lois ou réglementations qui contreviendraient à leurs profits supposés dans le futur ou à leurs investissements.

S’ajoutent à ces transformations :

  • Tout ce qui tire l’individualité, liée particulièrement à l’émergence de la révolution informationnelle, vers l’individualisme et tout le travail idéologique effectué à cette fin.
  • La déliquescence morale des équipes dirigeantes de droite et de la gauche sociallibérale, au niveau politique, leur acharnement à refouler et contourner l’expression démocratique des peuples quand elle met en cause les intérêts de la finance, comme l’exemple de la Grèce vient de le montrer après celui du traité constitutionnel rejeté par les peuples français et hollandais. La captation de la démocratie politique et sociale par de petits groupes dirigeants dans les institutions et les entreprises, le pantouflage et le rétro-pantouflage, le passage télécommandé du public au privé et du privé au public, la compromission vis-à-vis d’intérêts privés, tout cela favorise les débordements, les fraudes, la corruption.
  • Il faut réserver un sort particulier à la présidentialisation de la vie politique qui se traduit par une concentration du pouvoir en faveur des premiers dirigeants des institutions politiques : pouvoir central, régions, départements, communautés d’agglomération, municipalités, … Cette crise qui touche l’économique, le social, le politique, l’environnemental, … l’ensemble des domaines de la vie humaine, comme l’a noté Paul Boccara dans le texte de son audition devant le Conseil économique, social et environnemental, en 2010, est une crise de civilisation qui met en cause à la fois le système économique du capitalisme et son système anthroponomique fondé sur le libéralisme qui n’est pas qu’une idéologie. Cette crise de civilisation inédite a des effets très contradictoires. Elle nourrit des repliements, suscite des régressions. On assiste ainsi à la montée de différentes formes d’intégrismes. Celui de milieux dirigeants aux Etats-Unis, en Allemagne également, l’intégrisme des ultras du libéralisme. On a pu s’en faire une idée avec le comportement d’Angela Merkel et de Wolfgang Schaülbe lors des discussions avec la Grèce, ou, il y a quelques années de cela avec les Bush, père et fils. Autre forme d’intégrisme, celui des mouvements populistes et d’extrême droite qui progressent dangereusement en Europe. L’intégrisme islamiste enfin, mais je ne m’étendrai pas sur le sujet. Dans plusieurs pays arabes animés par de grands mouvements populaires de progrès, il a contribué à confisquer, à détourner ou à réduire les avancées démocratiques.

 

4) – En quatrième lieu, à mon sens, la question de la corruption apparaît, y compris pour les chantres du libéralisme, comme incontournable pour l’avenir du capitalisme. Il n’est plus possible de l’ignorer.

La crise financière, puis économique et sociale de 2007-2010 a révélé la faillite des théories et des politiques prônant une régulation des sociétés à partir des intérêts des marchés, mais quel type de régulation faut-il engager ? Du côté du patronat et des grandes firmes multinationales, on plaide, mais l’on a du mal à convaincre, pour une autorégulation qui consiste à réclamer le droit pour les marchés de se surveiller et de s’équilibrer eux-mêmes en dépit de la contre démonstration de 2007-2010. Total, Alcatel Lucent, d’autres firmes multinationales affirment ainsi qu’ils pratiquent la tolérance zéro à l’égard de la fraude et de la corruption. Du côté des institutions internationales, l’OCDE, la commission européenne (je l’ai déjà évoqué), l’ONU, nombre d’institutions internationales multiplient les recommandations concernant le lobbying, les conflits d’intérêt, les comportements éthiques dans les services publics, publient des rapports en faisant un état des lieux, mais les gouvernements qui y siègent se contentent de vagues recommandations. Le Pape, lui-même, exhorte à refuser « toute forme de corruption qui détourne les ressources destinées aux pauvres » et appelle les autorités à « réformer les structures sociales qui entretiennent la pauvreté et l'exclusion des pauvres ». Mais le plus décisif vient d’ailleurs, des peuples eux-mêmes. Sans idéaliser, évidemment.

 

5) – En cinquième lieu, je pense que si les luttes populaires contre la corruption progressent, elles ont néanmoins encore bien du mal à proposer de réelles alternatives.

Les peuples ne sont évidemment pas indifférents ou extérieurs à tous ces bouleversements. Pour le meilleur ou pour le pire. Pour le pire. Dans nombre de pays, y compris parmi les plus développés, une partie de la population, minoritaire certes, s’intègre à des réseaux mafieux de fraude et de corruption. Le terreau de ces comportements, il ne faut pas l’oublier, même s’ils sont inacceptables, c’est le chômage de masse, la misère, le manque d’éducation et de formation. Pour le meilleur, même si cela reste limité. L’on assiste également à de grands mouvements de protestation en faveur d’une démocratisation de la vie politique, contre les trafics et pour des avancées sociales. Cela a été particulièrement vrai en Tunisie et en Algérie. En Grèce, Tsipras et Syriza entendent lutter « contre le clientélisme » et « la corruption ». Au Mexique, on a assisté à une vague de contestation populaire pour dénoncer la violence, la corruption politique et l'infiltration des institutions par le crime organisé. Au Burundi, au Burkina Faso, en Guinée, la lutte contre la corruption est là aussi étroitement liée à celle pour la démocratie.

Mais les mouvements populaires ont encore bien du mal à créer des alternatives face aux multinationales et aux marchés financiers. En Afrique du sud et au Brésil, l’ANC et le Parti des Travailleurs sont ainsi en difficulté sur cette question de la corruption. Mais n’est-ce pas justement parce qu’au-delà des progrès réalisés, ils sont en difficulté pour trouver les voies d’une maîtrise publique et sociale des marchés ?

 

6) – En sixième lieu, la corruption à mon sens, pose la question d’une autre régulation, d’un changement des relations public-privé et d’une nouvelle citoyenneté.

La corruption prospère quand le public est mis sous la coupe du privé et que domine la rentabilité financière la plus exacerbée. Il s’agit donc de construire un public qui aide à changer le privé et qui change lui-même. La crise de 2007-2008 a montré que la régulation de l’économie mondiale par les marchés financiers conduit au désastre. Depuis, à la suite des interventions publiques qui ont empêché l’effondrement du système, la spéculation, la fraude, la corruption sont reparties de plus belle. Avec ce qui s’est passé en Grèce et en Europe, avec la crise qui secoue la Chine, on peut mesurer que cette domination de la finance est fragile. Le système ne perdure que grâce aux interventions continues des banques centrales. Nous sommes donc dans une phase où la domination des marchés financiers se montre vulnérable et où la conscience qu’il faudrait mettre fin à cette domination progresse. Dans ce contexte, il peut y avoir encore la tentation et l’illusion que l’on pourrait régler les difficultés en éliminant un des termes du problème : puisque le privé peut corrompre le public, supprimons le privé. L’expérience historique a montré que ce n’est pas la solution et que d’autres formes de corruption peuvent se développer. Pour autant, le public a un rôle essentiel à jouer : il s’agit pour lui de créer les conditions pour que la société et, en son sein, particulièrement, les salariés, puissent être les acteurs des évolutions sociales et sociétales. La propriété publique des principales banques et compagnies d’assurance et de grands groupes, la maîtrise des flux de capitaux, des taux d’intérêt et de change peuvent y aider, mais cela ne peut suffire. Avec la révolution informationnelle, il est à la fois possible et nécessaire que les plans d’investissement, de financement, de développement et de formation, que les restructurations d’activité soient élaborés et décidés au plus près des intéressés. Il y va de leur pertinence et de leur efficacité ! C’est dès l’entreprise – lieu principal d’exercice du pouvoir économique – que des institutions doivent permettre la conquête de pouvoirs par les salariés.

 

7) – En septième lieu, je considère que pour faire reculer la corruption la société doit prioritairement maîtriser les réseaux de l’argent et commencer à dépasser le capitalisme dans le domaine économique et le libéralisme dans le domaine anthroponomique.

Pour ma part, je ferais 6 propositions pour conduire une lutte efficace contre la fraude et la corruption.

  • 1ère proposition : La société doit progressivement changer de cap. Une société qui progresse, qui crée de manière durable de la richesse utile, qui combat et réduit le chômage, qui assure une sécurité d’emploi et de formation à sa population, une société où les inégalités se réduisent, qui lutte pour changer les relations entre l’homme et son environnement, qui favorise le partage et l’entraide, offre moins de prise à la fraude et à la corruption.
  • 2ème proposition : Pour y parvenir, la société doit se donner les moyens financiers d’une telle réorientation. Cela suppose une maîtrise populaire de l’argent et de ses réseaux. Parallèlement à la taxation des hauts revenus et des gros patrimoines, il s’agira de financer autrement l’économie et la société, dans la transparence des critères de financement, pour produire plus et autrement. Je vous renvoie aux propositions des économistes communistes et du PCF concernant notamment la création d’un Fonds européen de développement social et solidaire pour les services publics (école, recherche, santé, logement....), participatif et ouvert aux interventions des élus, des salariés et des populations. Ces dernières années, la BCE a mobilisé des sommes considérables en faveur des banques et des entreprises de la zone euro mais elle ne conditionne pas ces financements à des objectifs chiffrés de développement des services publics et de l’emploi. Cet argent doit être utilisé à d’autres fins qu’une spéculation effrénée, pour restructurer les dettes publiques et financer des dépenses nouvelles.

La BCE a ainsi un rôle essentiel à jouer pour transformer le terreau actuel de la corruption pollué par la spéculation. Elle peut jouer un rôle déterminant dans la traque de la fraude et de la corruption en changeant ses critères d’allocation de ressources monétaires aux banques, en les incitant à engager une politique du crédit favorable à l’emploi et au développement humain, dissuasive à l’égard de la spéculation financière, en assurant un véritable contrôle du système bancaire, rôle qu’elle a les moyens de réaliser. Parallèlement, serait mis en place avec le concours notamment de la Banque européenne d’investissements, un programme de soutien sélectif aux investissements des entreprises de la zone euro en faveur de l’emploi et là encore dissuasif à l’égard de la spéculation.

  • 3ème proposition : Il s’agirait de faire reculer l’inégalité de pouvoir qui favorise la corruption. Les droits et pouvoirs nouveaux des salariés et de leurs institutions représentatives pourraient contribuer à assurer une transparence dissuasive de la corruption. Par ailleurs de nouvelles institutions publiques doivent voir le jour. C’est le cas des fonds régionaux pour la sécurité d’emploi et de formation qui peuvent permettre aux salariés, aux populations et à leurs représentants d’apprécier et de contrôler l’attribution de fonds publics pour l’emploi et la formation.
  • 4ème proposition : Il s’agirait de mettre en oeuvre des critères nouveaux d’efficacité des services publics. Les exigences actuelles de calculs et d’indicateurs de résultats dans les services publics visent à réduire les dépenses publiques et à favoriser les prélèvements financiers. Mais elles correspondent aussi à des besoins novateurs d’efficacité. D’où la possibilité d’élaborer de nouveaux critères d’efficience sociétale, de nouveaux instruments de mesure et indicateurs accompagnant la décentralisation des moyens et des pouvoirs. Une transformation fondamentale, de portée révolutionnaire, doit concerner de nouveaux pouvoirs de coopération créative avec tous les personnels des usagers des services publics, usagers directs ou indirects, comme les parents. Cette coopération des usagers avec tous les personnels va de pair avec le développement des pouvoirs de tous les personnels et de leur formation.
  • 5ème proposition : Mettre en oeuvre une autre conception de la vie politique. Face aux conflits d’intérêts, à la fraude et à la corruption, la Haute Autorité de la Transparence mise en place fin 2013 assure un contrôle des patrimoines et des intérêts de plus de 7 000 personnalité politiques : parlementaires, membres du gouvernement, maires de plus de 20 000 habitants et adjoints de grandes villes, conseillers généraux et régionaux, mais aussi collaborateurs de cabinets ministériels. Pour autant, si les dispositions adoptées en faveur d’une plus grande transparence du patrimoine des parlementaires marquent un progrès elles restent encore insuffisantes. Surtout se pose la question de la participation citoyenne à la vie politique, meilleur antidote à la corruption.
  • 6ème proposition : La coopération et l’émulation en France, en Europe et dans le monde comme alternatives à la concurrence destructrice et corruptrice. On ne supprimera pas la concurrence par décret mais il s’agit de la dépasser avec l’émulation, pour l’efficience sociétale, et la coopération pour mettre en place les meilleures solutions. A mon avis, des initiatives d’ampleur s’imposent afin particulièrement de mettre en cause ces affaires de fraude et de corruption des plus grandes banques mondiales sur les taux d’intérêt interbancaire et les taux de change que je viens d’évoquer. Ces banques n’ont même pas la reconnaissance du ventre. Ce sont des initiatives publiques qui les ont sauvées en 2008, 2009. Ce sont des institutions publiques, la BCE, la banque centrale des Etats-Unis, la Fed, la banque centrale chinoise, … qui permettent actuellement au système financier international de ne pas s’effondrer. On peut dans ce contexte faire monter des exigences de régulation en faveur de l’emploi, du développement humain, de la formation des gens, de la sécurisation de leur parcours. Pourquoi les grandes banques devraient-elles assurées d’être protégées de toute faillite par la puissance publique et les salariés et les populations devraient-ils connaître l’insécurité sociale, la précarité, le chômage, les bas salaires ? La meilleure façon de sécuriser le système bancaire, c’est d’ailleurs de sécuriser les travailleurs, les producteurs, les salariés ! Au terme de cette introduction au débat, je pense à cette phrase du grand poète martiniquais Aimé Césaire. Dans son « Discours sur le colonialisme », il écrit de manière prémonitoire en 1950 : « Désormais, à l'ordre du jour de la bourgeoisie, il n'y a, il ne peut y avoir maintenant que la violence, la corruption et la barbarie ». Irons-nous vers de nouvelles barbaries ou vers de nouveaux jours heureux ? Rien n’est encore totalement écrit.

Pierre Ivorra, journaliste à l'Humanité
Université d’été du PCF, le 29 août 2015

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Corruption, mondialisation capitaliste et nouvelle citoyenneté

le 29 August 2015

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