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Centrafrique : intervention de Michèle Demessine au Sénat

Michelle Demessine - mardi 10 décembre 2013

 

Débat sur l’intervention armée en République centrafricaine.

 

Monsieur le président,

Monsieur le ministre,

Mes chers collègues,

 

La mort de Nelson Mandela résonne douloureusement avec les tragiques événements de Centrafrique.

Cet homme, après avoir lutté la majeure partie de sa vie contre l’inhumanité suprême qu’est la ségrégation raciale, a réussi à éviter un désastre à son pays en prônant la réconciliation entre ses différentes composantes pour construire une Afrique du Sud libre, démocratique, non raciale, progressant sur la voie du progrès économique et social.

Nelson Mandela disparaît, alors qu’un petit pays du continent est en proie à une extrême pauvreté et au sous-développement, source d’affrontements entre les populations.

La Centrafrique sombre depuis plusieurs mois dans un chaos indescriptible de violences et de massacres, et menace d’y entraîner toute une région.

 

Depuis vendredi dernier nos troupes interviennent dans ce pays, avec comme première mission de mettre fin aux exactions de toutes sortes contre les populations civiles,  de permettre l’acheminement de l’aide humanitaire, de désarmer les bandes qui sévissent.

Cette difficile mission a déjà fait deux victimes au sein du 8e régiment parachutiste d’infanterie de marine. Je salue ici le courage et l’abnégation de ces hommes qui sont allés jusqu’au sacrifice suprême pour remplir la mission que leur avait confié notre pays. Les informations qui nous parviennent de Bangui, les images que nous avons vues en boucle durant le week-end, la gravité de la situation et les scènes d’horreur, provoquent, légitimement, d’abord des réactions passionnelles qui laissent peu de place à une réflexion raisonnée.

 

Face à cette situation qui se dégradait de semaines en semaines, il fallait sans doute intervenir en urgence.

Le président de la République en prenant, une nouvelle fois en moins d’un an, la décision d’engager nos troupes sur le continent africain,  a assumé ses responsabilités au nom de la France.

Certes nous devions agir, mais dans de telles conditions, cette opération est-elle menée en mesurant pleinement toutes nos responsabilités et toute la portée de cette décision et de nos choix ?

Cinq jours après le début de l’opération dénommée « Sangaris », l’intérêt de ce débat parlementaire est donc maintenant, au-delà des apparences et des évidences,  de prendre le temps de réfléchir sereinement aux conditions et à la forme de notre intervention, d’en apprécier les conséquences, et d’envisager l’évolution de la situation pour préparer l’avenir.

Cette intervention a certes la légitimité que lui confère la légalité internationale, puisqu’elle résulte d’une résolution adoptée, à l’initiative de la France, à l’unanimité des membres du Conseil de sécurité.

Concrètement, cette résolution donne mandat à nos forces pour intervenir afin de rétablir la sécurité, en appui des troupes africaines de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca).

Placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations-Unies, qui permet le recours à la force pour faire appliquer les résolutions, elles les autorisent ainsi « à prendre toutes les mesures nécessaires pour soutenir la Misca dans l’accomplissement de son mandat ».

La résolution envisage enfin la transformation éventuelle de la Misca en force de maintien de la paix de l’ONU « quand les conditions le permettront ».

Du point de vue de la légalité internationale, le mandat est donc fondé juridiquement et il est relativement clair.

 

Il reste néanmoins qu’en pratique,  la mise en œuvre d’une opération militaire et surtout la suite politique qui en découle se révèlent plus compliquées que le simple vote d’une résolution des Nations unies.

Outre les difficultés techniques d’une opération qui comprendra, avec les forces panafricaines, environ 5.000 hommes, vous vous défendez aujourd’hui de vouloir vous investir directement dans le règlement politique de cette crise, et proclamez que vous laisserez au plus vite la place aux Nations-Unies.

Est-ce encore possible après avoir préparé, et engagé seuls, cette opération ?

En Centrafrique notre pays est certainement le plus mal placé, en l’absence d’institutions étatiques depuis des décennies, pour agir en avant-garde sur la transition politique et le développement économique.

Dans ce pays qui a longtemps été sous notre tutelle, nous serons à juste titre, suspectés de vouloir nous substituer aux Centrafricains eux-mêmes, et de ne défendre que nos propres intérêts.

Pourquoi avoir persisté à intervenir seuls, alors que le Président de la République s’était engagé à ne plus s’ingérer dans les crises en Afrique et à entretenir des relations d’un type nouveau avec ces pays ?

 

Monsieur le ministre il faut préciser la stratégie du gouvernement sur cette opération ? Quels objectifs poursuivons-nous réellement ?

Pourquoi et comment, avec qui et avec quels moyens, la France veut-elle gérer cette nouvelle crise au centre de l’Afrique ?

La déclaration du gouvernement qui vient de précéder ce débat ne nous a pas apporté les clarifications que nous attendions.

D’ailleurs, contrairement à l’intervention au Mali, le trouble, voire le rejet, qui existe aujourd’hui dans l’opinion publique à l’égard de l’engagement dans ce pays, est révélateur.

Au-delà d’une opposition qui pourrait  n’être que passagère, et s’expliquer par la situation économique que vit actuellement notre pays, je pense surtout que nos compatriotes sont essentiellement réticents et sceptiques sur l’efficacité et la capacité de ces interventions militaires, plus ou moins ponctuelles, à résoudre les crises dans ces pays et à agir sur les causes qui les provoquent.

Ils s’interrogent également sur le coût de ces opérations pour nos finances publiques, puisqu’elles se font au détriment d’autres priorités.

Et puis, il ne faut pas céder aux sentiments ni aux illusions.

La faillite centrafricaine ne date pas de ces dernières semaines.

Cette faillite est aussi très concrètement due à une profonde crise économique et sociale résultant de l’effondrement des cours des produits agricoles locaux.

Disons clairement les choses : les politiques successives de la France portent une large part de responsabilité dans la situation de ce pays car nous y avons souvent joué un rôle d’influence négatif en soutenant des gouvernements peu recommandables.

Et de plus, notre pays a soutenu, et soutient encore, les institutions internationales qui appliquent à ces pays des politiques ultra libérales qui asphyxient leurs économies et plongent leur population dans la misère.

Aujourd’hui, nous intervenons in extremis, dans l’urgence, alors que la situation se dégradait depuis de nombreux mois, comme nous en alertaient les organisations non gouvernementales sur le terrain.

Ce pays était déjà au bord du gouffre au mois de mars, et nous n’avons pas suffisamment réagi lorsque les opposants au président Bozizé ont pris le pouvoir avec le soutien du Tchad.

Quelles initiatives diplomatiques, auprès de la communauté internationale et des pays de la région, notre pays a-t-il pris pour empêcher cet engrenage fatal ? S’il y en a eu, reconnaissons qu’elles ont été particulièrement discrètes et inefficaces.

Votre gouvernement s’est résolu à éteindre cet incendie généralisé pour se lancer en héros solitaire dans une de ces opérations militaires qui deviennent, malheureusement, notre spécialité dans les relations internationales de cette partie du monde.

Mais quelle est votre politique dans cette région ?

Au-delà des discours convenus, et de la promesse d’organiser au plus vite des élections, le gouvernement n’est pas véritablement en mesure de présenter à la représentation nationale l’esquisse d’une solution politique à cette crise.

 

Cette nouvelle intervention militaire en Centrafrique, après des années d’une tutelle française qui ne lui a jamais permis de trouver le chemin de la stabilité, de la paix et du développement, quand sera dépassée l’urgence d’arrêter les massacres, apparaîtra  crûment :

notre pays n’y va-t-il pas pour rétablir un minimum d’ordre et reprendre la main sur le plan économique et stratégique, tout cela en accord avec l’Union européenne et les Etats-Unis ?

Cette façon de gérer le conflit ne risque-t-elle pas de perpétuer l’instabilité, la violence et l’échec ?

Bien sûr, dans l’immédiat, il faut mettre un terme aux violences qui ensanglantent le pays.

La Centrafrique ne doit pas sombrer dans une guerre civile intracommunautaire. Mais au-delà de cet aspect conjoncturel, il faut surtout s’attaquer aux causes profondes qui déstabilisent ce pays depuis si longtemps.

Il s’agit tout d’abord de casser la relation néo-coloniale que nous entretenons avec lui.

De la même façon, il est nécessaire que les pays voisins, comme le Tchad, cessent de considérer la Centrafrique comme leur arrière-cour. Il est grand temps que les Centrafricains recouvrent pleinement leur souveraineté.

Il faudrait ensuite, lutter contre la pauvreté, véritable fléau dans la région.

Cela passera nécessairement par une remise à plat de la répartition des dividendes tirés de la mise en valeur des ressources naturelles.

Libérés du joug de la domination et de l’exploitation, les Centrafricains seront alors à même de tourner la page des putschs et des rebellions.

Le débat que nous avons cet après-midi met à nouveau fortement en évidence, que dans ce type de crise internationale, il faut avoir une approche globale, et qu’il faut  traiter les causes et pas seulement les conséquences.

Nous l’avions déjà dit, avec d’autres, ici-même, il y a quelques  mois, lors du débat sur le Mali : le gouvernement doit sans tarder procéder à une véritable refondation de l’ensemble de notre politique d’aide publique au développement, qui redéfinisse ses objectifs, ses enjeux et ses moyens.

A cet égard, les résultats de la conférence de Paris qui, pour l’essentiel, se borne à offrir aux africains notre aide pour prendre en charge leur propre sécurité,  n’est absolument pas à la hauteur des enjeux.

Vous devriez, par des actes concrets, rompre avec la politique de vos prédécesseurs qui donnait aux pays africains l’image d’une France dont le seul souci est de bénéficier de leurs ressources aux meilleures conditions.

A l’inverse, il faut maintenant nouer de véritables partenariats équilibrés, de nouvelles relations économiques avec les Etats, entretenir des relations débarrassées des arrière-pensées de simple préservation de nos intérêts économiques et stratégiques.

Vous l’aurez compris, notre groupe estime que cette intervention militaire ne s’inscrit pas du tout dans ce cadre. Nous en désapprouvons donc la forme et nous doutons qu’elle soit la réponse appropriée à la crise que traverse la Centrafrique.

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  • MICHELLE DEMESSINE

    LETTRE OUVERTE A MICHELLE DEMESSINE, SENATRICE COMMUNISTE Madame la Sénatrice, Chère Michelle, M’intéressant à l’Afrique, j’ai lu avec attention votre discours du 10 décembre au Sénat dans le débat (sans vote) sur l’intervention militaire française en Centrafrique. Vous indiquez que « nos compatriotes sont essentiellement réticents et sceptiques sur l’efficacité et la capacité de ces interventions militaires, plus ou moins ponctuelles, à résoudre les crises dans ces pays et à agir sur les causes qui les provoquent.» et vous rappelez avec raison la responsabilité de la France dans la situation catastrophique de la Centrafrique. Enfin vous affirmez la nécessité de « casser la relation néo-coloniale que nous entretenons [avec ce pays]. » Ces considérations que je partage sont malheureusement, à mon sens, contredites par deux de vos affirmations : « Face à cette situation qui se dégradait de semaine en semaine, il fallait sans doute intervenir en urgence. Le Président de la République en prenant, une nouvelle fois en moins d’un an, la décision d’engager nos troupes sur le continent africain, a assumé sa responsabilité au nom de la France. » Ces formules ambiguës peuvent être interprétées comme une approbation de l’intervention militaire. Je suis d’autant plus enclin à privilégier cette interprétation que votre allocution se termine par cette phrase : « Nous en désapprouvons donc la forme et nous doutons qu’elle soit la réponse appropriée à la crise que traverse la Centrafrique. » Vous en désapprouvez « la forme » et non les buts réels qui sont de défendre les intérêts des groupes financiers et industriels. Or il me semble que c’est sur ce point qu’il nous faut apporter des explications à nos concitoyens, comme le font les députés communistes. La France est le premier investisseur en Centrafrique qui possède des richesses naturelles importantes : or, diamants, mercure, uranium, fer... Ce pays est producteur de manioc, de bananes, de maïs, de café, de coton…Sa forêt de 3, 8 millions d’hectares contient des essences précieuses. Depuis son accession à « l’indépendance », la France y a mis en place tous les dictateurs, de Bokassa à Ange Félix Patassé et elle considère ce pays comme son « porte-avions » au centre de l’Afrique. Chacun de nous est bouleversé par les drames que vit la population de la Centrafrique et je comprends les problèmes de conscience que cela peut poser ; aussi je conçois que lors d’un scrutin, la liberté de vote puisse être laissée à chacun(e). Ayant connu l’époque où le Bureau politique du PCF décidait à la place des élus nationaux (à l’occasion du vote des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet, par exemple), j’ai depuis longtemps avec notre parti, rejeté cette méthode, mais néanmoins une certaine cohérence s’impose afin que nos élus expriment l’opinion des communistes. En l’occurrence c’était un débat sans vote (ce qui est regrettable) et vous interveniez au nom des sénateurs et sénatrices communistes et apparenté(e)s, laissant ainsi penser que vous exprimiez l’opinion de tous. J’en suis d’autant plus chagriné que votre groupe comprend le sénateur, secrétaire national du PCF. Votre intervention reflèterait-elle son opinion ? Préoccupé par cette interrogation, j’ai également étudié l’intervention du responsable des députés communistes et apparentés à l’Assemblée Nationale, dont la tonalité tranche fort heureusement avec celle qui avait été prononcée lors de l’intervention au Mali. Il affirme avec force que : « Nous pensons […] que la France n’a pas vocation à jouer le rôle de gendarme de l’Afrique. Les valeurs anticoloniales, toujours défendues par les communistes, nous l’interdisent. […] Notre pays a une dette morale considérable envers le peuple de Centrafrique. Une dette qui nous oblige à reconnaître que nous n’étions pas les mieux à même pour intervenir dans la situation dramatique qui les frappe. » Voilà les paroles que j’attendais de vous et que je n’ai pas trouvées dans votre intervention au Sénat. Je tenais, Madame la Sénatrice et chère camarade, à vous faire part de mon opinion et vous comprendrez que je la rende publique sur mon blog (www.bernard-deschamps.net) dans la mesure où votre allocution a été prononcée en séance publique au Sénat et publiée au Journal officiel. Je vous prie de croire, chère Michelle, en mes sentiments amicaux. Bernard DESCHAMPS Ancien député communiste du Gard Ancien membre de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale

    Par DESCHAMPS BERNARD, le 14 December 2013 à 20:05.

 

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