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Une première victoire pour le peuple algérien

Depuis plus de trois semaines, des manifestations mobilisent des millions d’Algériens qui dénoncent le scénario dicté par le “clan Bouteflika” afin d’imposer un 5e mandat du président sortant.

Ces rassemblements historiques, dignes, qui ont sidéré le pouvoir, touchent l’ensemble du pays et se déroulent pacifiquement. La jeunesse et  les femmes, au premier rang, rejoints par des pans entiers de la société investissent l’espace public. La recherche de l’unité balaie les clivages confessionnelles, linguistiques  et régionaux.

L’élément déclencheur de ce soulèvement a été le dépôt de la candidature du président sortant pour un nouveau mandat. Très âgé, gravement malade, il ne s’est pas exprimé devant la nation depuis 2013. Cette situation et sa longévité politique cristallisent la colère, la lassitude mais aussi un profond sentiment d’humiliation à l’origine d’un immobilisme qui paralyse et étouffe le pays. Cette fossilisation a scellé la rupture entre le sommet de l’Etat et la société qui rejette désormais ce pouvoir anachronique.

Ces manifestations se déroulent alors que la crise économique et sociale fait rage. La population s’insurge contre le pillage des ressources naturelles par ce “clan” et des connivences qu’il entretient avec la finance internationale prédatrice. Les politiques d’austérité accentuent le chômage, l’inflation, la dévaluation du dinar, la stagnation des salaires ; amplifient les privatisations, la destruction de la protection sociale et du code du travail.

De plus, le peuple algérien est depuis longtemps écarté du pouvoir. A. Bouteflika détient tous les leviers du pays. Il est entouré d’un clan opaque d’oligarches, de cercles mafieux qui profitent de la situation tout en bénéficiant du soutien de l’armée et de l’administration. La corruption généralisée et le clientélisme nourrissent un sentiment d’injustice mâté par un régime sécuritaire et une répression des libertés publiques. Ces politiques alimentent l’islamisme qui, dans les années 80, a tenté de détruire l’Etat.

Le peuple algérien aspire donc à un changement radical, à un démentellement du régime et du système ainsi qu’à un changement générationnel.

Le pouvoir a pourtant usé de toutes les manoeuvres afin de délégitimer ce soulèvement.

Le premier ministre n’a pas manqué de jouer le scénario du chaos. Il a instrumentalisé la crainte des Algériens de revivre l’expérience des années 90 et a évoqué les menaces d’un effondrement à la libyenne ou à la syrienne. Rien n’y a fait. Dès vendredi soir, de premières défections au sein du pouvoir ont émergé face à ces foules monumentales et pacifiques. Devant l’ampleur des manifestations, le pouvoir a semblé dans un premier temps lâcher du lest en évoquant des élections anticipées et une nouvelle Constitution. De toute évidence, ces promesses, perçues comme démagogiques, n’ont pas convaicu la rue. Les différents clans du pouvoir, qui ne se sont pas mis d’accord sur une succession, ont tenté de gagner du temps pour mettre en place une évolution du système et non pas sa disparition. Ces manoeuvres sont apparues en décalage complet avec la volonté populaire qui exigeait une réelle transition démocratique ainsi que des réformes structurelles. Enfin, le pouvoir algérien considérait comme un atout d’être parvenu à fragmenter et à affaiblir l’opposition politique dans laquelle n’émerge, pour l’instant, aucun leader.

Le “clan Bouteflika” n’est plus en capacité de mobiliser sa société autour d’un projet national. Pourtant l’Algérie recèle d’immenses richesses, d’une jeunesse nombreuse et dynamique, d’une effervescence culturelle rare dans la région. C’est pour défendre le pays que le peuple est descendu dans la rue transgressant les peurs, les menaces et le spectre de la guerre civile. Avec une maturité politique exceptionnelle, ce mouvement porte des revendications politiques et sociales ambitieuses et tente de frayer, de manière novatrice, un chemin pour dépasser la fausse alternative entre le statu quo et la menace islamiste. En cela, il est fidèle à l’esprit du 1er novembre 19541  par l’incandescence démocratique et sa capacité à être une référence dans le monde arabe.

Sous la pression populaire, le pouvoir a cédé. Il convoque une conférence nationale afin de modifier la Constitution mais reporte l’élection présidentielle permettant à A. Bouteflika de se maintenir. Il s’agit d’une première victoire exceptionnelle pour le peuple algérien. Cette expérience et cette vigilance seront utiles face aux mobilisations à venir et à ceux qui voudraient dévoyer ou prendre en otage ce processus de transition. Le Parti communiste français apporte son soutien au peuple Algériens et à tous les Algériens de France mobilisés pour la paix, la justice, la démocratie et la dignité.

Pascal Torre
responsable-adjoint des Relations internationales, chargé du Maghreb et du Moyen Orient
article publié dans CommunisteS le 13 mars 2019

*1er novembre 1954: date du 1er appel adressé par le Front de libération nationale au peuple algérien marquant le début de la guerre d'indépendance de l'Algérie.

 

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