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Collectif Paix et Démocratie - Solidarité avec les peuples de Turquie: rapport introductif (18 décembre 2018)

Le nouveau contexte des élections de juin 2018

Erdogan est devenu en 2014, le premier président de la République élu au suffrage universel. Les amendements constitutionnels, entrés en vigueur en 2018, qui établissent un régime hyperprésidentiel, lui permettent de gouverner en autocrate sans contre-pouvoirs.
Il entend être le dirigeant d'une nouvelle Turquie. Pour cela, il promeut un islam politique turc, il redéfinit le nationalisme dans la perspective de retrouver une grandeur perdue sur la base d'une refondation civilisationnelle. Ce projet a commencé à se concrétiser dans plusieurs sphères de la vie publique et privée par des postures moralistes, intrusives et paternalistes (enseignement religieux, restrictions des droits des femmes, vente d'alcool...).

L'autoritarisme, profondément ancré dans la vie politique et sociale, a permis à Erdogan de poursuivre une politique de refondation conservatrice. Le nationalisme à connotation ethnoreligieuse est le plus grand dénominateur commun idéologique de la société turque. L'image de la Turquie comme puissance assiégée reste vive dans l'imaginaire populaire. Il permet de justifier la politique de répression face aux prétendus périls extérieurs et intérieurs. Cet autoritarisme qui se traduit par une paramilitarisation de l'appareil d'État fait bon ménage avec les politiques néolibérales.

Depuis la disparition de la carte européenne pour établir son pouvoir, Erdogan a misé sur la polarisation sociale pour s'assurer du soutien des sunnites conservateurs. Il attise les fractures de la société turque : ethniques (kurdes), confessionnelles (alévis) et culturelles (modernistes). Il est le défenseur de l'unicité de la nation face aux Kurdes. Au nom de l'oumma il refuse aux alévis de séparer leurs lieux de culte des mosquées.

Le majoritarisme constitue la limite de sa conception démocratique. Mais comme la plupart des régimes autoritaires il a besoin de la souveraineté incarnée dans le suffrage universel. D'où la nécessité de remporter les élections. Erdogan s'appuie sur une large base sociale constituée de la bourgeoisie anatolienne, des différents milieux islamistes et des populations les plus pauvres convaincues que la résolution des problèmes sociaux se relève de la charité. Il dispose enfin d’un quasi-monopole des médias. Le scrutin de juin a montré que les 2/3 des électeurs turcs votent pour des formations conservatrices ou ultranationalistes.

Purges, violations des droits de l'Homme et crise économique

Depuis plusieurs années maintenant, la répression ne faiblit pas et s'est amplifiée depuis la tentative avortée du putsch de juillet 2016. Des coups de filets sont annoncés chaque semaine. 220 000 personnes ont été interpellées depuis le coup d’État et plus de 50 000 condamnés. Médias, secteurs éducatifs, judiciaires, militaires, économiques sont affectés. La répression a des ramifications à l'étranger : pression sur des États mais aussi disparitions et enlèvements (dont 200 revendiqués), intimidations et pressions diplomatiques, tortures dans des centres de détention arbitraires.

Cette répression frappe tous les opposants et notamment les démocrates : syndicalistes, défenseurs des droits de l'Homme et plus particulièrement le HDP : 5 000 militants, la quasi-totalité des parlementaires et des maires ont été ou sont incarcérés.

Mais ne nous y trompons pas, ce régime de guerre et de terreur place la Turquie au bord du gouffre.

- Sur le plan économique : Le PIB de la Turquie a augmenté de 30% en 16 ans et ses taux de croissance demeurent impressionnants (7,2% en 2017). Cependant cette économie n'en connaît pas moins des difficultés structurelles. En 2018 et 2019, la croissance devrait être divisée par 2 alors que la livre a perdu 40% de sa valeur, l'inflation flirte avec les 20% et que le chômage s'accroît. Les investissements reculent alors que l'endettement explose. Cette crise monétaire s'explique fondamentalement par la politique du dollar fort. L'économie turque est trop dépendante du dollar pour combler le déficit de ses comptes courants et rembourser la dette de son secteur privé.

- Sur le plan politique : L'AKP a connu un net recul aux législatives de juin 2018 et ne doit sa majorité qu'à une alliance avec l'extrême droite. Mais Erdogan n'est pas parvenu à endiguer les contestations et les résistances. Il a échoué dans sa tentative d'éliminer le HDP, seule force progressiste et pacifiste turque qui parvient à dépasser 10% des voix et dispose d'un groupe parlementaire. Les mouvements sociaux contre la crise connaissent une vigueur nouvelle en dépit de l'interdiction de la grève dans de nombreux secteurs et des arrestations. Les mobilisations sont également fortes sur la défense des libertés : mouvements des femmes, grève de la faim dans les prisons à l'image de la députée Leyla Güven, le succès de librairie de l'ouvrage de S. Demirtas... L'action opiniâtre des parlementaires HDP auprès de la Cour Européenne des Droits de l'Homme a abouti à un arrêt exigeant la libération immédiate de S. Demirtas... qu'Erdogan a rejeté. Dans la même perspective, la commission des Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe vient de recommander la sortie du PKK de la liste des organisations terroristes. De telles décisions mettent en difficultés Ankara et répondent à la demande de paix des peuples de Turquie.
Les démocrates turcs n'ont pas dit leur dernier mot. L'heure est plus que jamais à la solidarité internationaliste.

Le retour de la Turquie sur la scène internationale

Les choix géostratégiques de la Turquie de 2011 à 2016 l'avaient placée dans une situation croissante d'isolement. Ankara n'était pas parvenue à renverser le régime de Bachar al-Assad et avait vu avec stupeur s'installer, à sa frontière nord, un espace kurde autonome.

Aujourd'hui la Turquie est sortie de cet isolement diplomatique depuis son rapprochement avec Moscou en 2016. Elle se replace dans le jeu régional.

- Elle a pu lancer en 2016 et 2018 (Afrin) des opérations contre les Kurdes lui permettant d'établir un protectorat dans le nord de la Syrie installant des rebelles djihadistes et empêchant l'unification des cantons kurdes. Elle s'apprête à engager une nouvelle offensive généralisée au Rojava contre des Kurdes, affaiblis dans leurs capacités militaires et diplomatiques avec des djihadistes recyclés , l'appui de l'artillerie et des drones. Cela constituerait un nouvel embrasement régional

- La décision de Poutine, mobilisé pour parvenir à une paix en Syrie, d'accorder sa confiance aux Turcs dans le règlement d'Idlib est un élément essentiel dans la mesure où Ankara a la capacité de négocier avec les organisations djihadistes.

- Un mini-sommet organisé à Istanbul avec la Russie, la France et l'Allemagne, pour discuter d'un schéma de sortie de crise et envisager la reconstruction de la Syrie conforte et confirme le rôle incontournable de la Turquie. Elle se permet le luxe de remettre en scène Paris et Berlin qui n'ont aucun poids.

- L'affaire Khassoghi amplifie cette capacité de la Turquie à peser sur les évolutions régionales et de devenir incontournable. Elle met en lumière les rivalités entre la Turquie et l'Arabie Saoudite pour devenir le porte-étendard de l'islam sunnite.

La région est traversée par deux axes antagoniques :

. La Turquie et le Qatar, favorables aux Frères Musulmans et hostiles au wahhabisme de Riyad

. L'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et l'Égypte s'opposent à cet islam politique. Les Frères Musulmans sont perçus comme des terroristes.

Les États-Unis, marginalisés à l'échelle régionale, prennent la mesure de ces évolutions.
Ces derniers mois, plusieurs dossiers ont introduit des divergences entre les États-Unis et la Turquie. La plus importante réside dans le soutien apporté par Washington aux Kurdes du PYD. Il s'agit d'un dossier vital pour la Turquie. Mais dissensions et frictions ne veulent pas dire séparation d'autant qu'ils disposent d'intérêts communs au sein de l'OTAN.
Pour les États-Unis la marge est étroite. Trump a encore besoin de donner, pour quelque temps encore, des gages aux Kurdes dans la lutte contre les dernières poches de l'État Islamique, avant d'envisager le retrait. Mais il est clair que l'objectif est de parvenir à créer une zone sous contrôle de l'OTAN dans le nord de la Syrie, par l'intermédiaire de la Turquie et de ses alliés.
Washington a besoin de conserver de bonnes relations avec la Turquie afin de tenter de contrecarrer l'influence russe et iranienne. Les relations avec Ankara sont infiniment plus importantes qu'avec les Kurdes d'Irak ou de Syrie. Les États-Unis ont dernièrement mis à prix la tête de trois dirigeants du PKK. Le statut de pivot central de la Turquie au sein de l'OTAN doit être préservé d'autant que Trump envisage de créer une OTAN "arabe".

Nos tâches

Afin d'empêcher des engrenages mortifères et de faire prévaloir la paix, la solidarité avec les peuples de la région est indispensable.

1. Manifestation du 12 janvier 2019
En 2013, trois militantes kurdes étaient assassinées dans Paris. La justice française a reconnu ce crime d'État et a identifié le MIT (services secrets turcs) comme commanditaire. L'ambassadeur actuel de Turquie en France, Ismaël Hakki Musa, était alors directeur adjoint du MIT. Le procès n'a pas eu lieu en raison de la mort du meurtrier mais de nouvelles procédures judiciaires sont engagées. Comme chaque année, une manifestation européenne, se tiendra le 12 janvier à l'initiative des organisations kurdes. Chaque année, le PCF y participe à un haut niveau avec ses élu(e)s. Notre visibilité est donc indispensable (drapeaux, badges...).

2. Célébration de Newroz
À quelques jours des élections municipales en Turquie, les Kurdes célébreront leur nouvel an (week-end du 21 mars). Partout où Newroz sera célébré, le PCF s'y exprimera. Le collectif tient à la disposition des fédérations une trame d'intervention.

À ces deux initiatives nous reprendrons nos mots d'ordre STOP ERDOGAN ! et nous aurons probablement un matériel (autocollant) autour du thème : Paix et Démocratie avec les Peuples de Turquie

Pascal TORRE