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Trump et la Corée du Nord

Cette photo est l'expression d'une situation inédite dont les prémices se sont multipliées ces derniers mois depuis la tenue des Jeux olympiques d'hiver 2018 de Pyeongchang.

 

Des signes réciproques d'ouverture par l'une et l'autre Corée, et l'annonce d'un changement stratégique par les États-Unis de leur rôle dans la péninsule, quel qu'ait été le cheminement tortueux et tonitruant du président Trump, ont jalonné cette évolution. La présence au sommet de Singapour en juin de plus de quatre mille journalistes témoigne de toute l'importance de l'événement. Sa signification est considérable en elle-même dans le cadre du slogan « America first », forme actualisée de l'ancienne « doctrine Monroe » énoncée le 2 décembre 1823 par le président américain dans son discours sur l'état de l'Union. Elle l’est aussi en raison des multiples et complexes enjeux en cause pour la Corée dans son ensemble et pour les autres États de la région.

Ces derniers jours, les débats des spécialistes1 et, pour nombre d’entre eux, leur désappointement devant le changement qu’impliquent ces discussions de Singapour soulignent le sérieux du processus initié, quelles que soient les visées différentes de l'une et l'autre parties. Du côté de Washington et de Donald Trump, on est passé d'une inscription dans « l'axe du mal » selon G. W. Bush à une discussion d'égal à égal pour une dénucléarisation de la péninsule avec, en perspective, le retrait du bouclier nucléaire américain et des 28 000 GIs stationnés en Corée du Sud, et l'engagement immédiat d'un arrêt des exercices militaires conjoints américano-sud-coréens. On évoque même la levée des sanctions économiques et financières. Pour Donald Trump, il s’agit là d’une opération de politique intérieure dans la perspective des élections de mi-mandat, en novembre prochain. Il fait la démonstration éclatante de sa capacité à faire la paix avec un dirigeant et un pays jusqu'alors diabolisés, en soulignant fortement que l'Amérique seule est en mesure de résoudre un tel conflit dans le cadre de sa vision impériale « America first » ; il se rend ainsi disponible pour se concentrer sur les tensions avec l'Iran. Quant à Kim Jong-un, mener à bien cette négociation bilatérale réclamée par son pays depuis de nombreuses années lui permet d’envisager que son pays soit enfin reconnu par la « communauté internationale », de conforter le cours des nouvelles relations avec la Corée du Sud, et de réorienter vers l'économie et la vie de la société les efforts de développement.

Dans un article de la revue de l'IRIS2, Denis Lambert retrace par le détail les aléas de la crise coréenne depuis le 27 juillet 1953 et l'armistice toujours en vigueur : la décision de Kim Il-sung de lancer le programme de recherche nucléaire, le développement de l'enseignement et la recherche, notamment pour la réalisation de ce programme, les diverses crises et négociations inabouties sur la dénucléarisation de la Corée, les tweets vengeurs de Donald Trump et les réponses nord-coréennes qui ont ponctué la marche chaotique vers la rencontre des deux responsables à Singapour le 12 juin dernier. La dernière partie de cet article est une longue réflexion sur la question des rapports entre les deux États coréens où la réunification est jugée inenvisageable à court terme par l’auteur.  En conclusion de son texte, Lambert réduit pratiquement cette rencontre du 12 juin à un non-événement : « Trump veut un succès personnel et la dénucléarisation, alors que le régime de Kim considère l’arme nucléaire comme son assurance ultime. Kim veut un succès personnel, la pérennité de son régime et des facilités économiques. Gageons que les succès personnels seront les seuls résultats rapides, sûrement pas la réunification.»

Sans doute, assurément même, cet engagement commencé à Singapour n'est pas celui d'une coopération réelle et fraternelle entre les peuples pour leur développement « harmonieux », mais il permet d'envisager pour la péninsule la fin des principales menaces militaires et le développement de relations profitables entre les deux pays, sans omettre une décrispation des relations avec le Japon, contraint de prendre en compte le retournement de Donald Trump.

Pierre Marcie
membre de la commission des relations internationales - Asie
article publié dans la Lettre des relations internationales de juillet 2018

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le 06 juillet 2018

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